Etude canadienne sur l’impact des messages de prévention sur les bouteilles d’alcool.

Alcool

Situation dans le monde

L’alcool est responsable de 3 millions de morts par an dans le monde et les risques sont grosso modo corrélés à la quantité ingérée. L’alcool est souvent perçu comme une drogue peu dangereuse contrairement à d’autres et concerne plus de 2 milliards d’individus qui en consomment régulièrement. Les étiquettes de mise en garde sont une stratégie recommandée dans le cadre d’une approche globale pour réduire la consommation d’alcool dans une population. En tous cas, elles sont recommandées par l’OMS et adoptées par plus de 47 pays. Parmi les pays qui les ont adoptées, on retrouve comme message le plus souvent, des messages d’alerte sur la dangerosité d’une consommation pendant la grossesse, ceux concernant la conduite de véhicules ou sur une vague notion de dangerosité pour la santé. Seuls deux pays informent des risques de cancer alors même que c’est une pathologie non négligeable avec l’alcool. Il s’agit de la Corée du sud qui impose depuis 2017, 3 messages dont deux en rapport avec les cancers et l’Ireland. Concernant les irlandais, si le gouvernement a légiféré dans ce sens fin 2018, son application est retardée par des actions en justice portée par l’industrie de l’alcool…

Aux Etats-Unis, les messages « classiques » d’alerte datent de fin 1989 mais l’évaluation de leur efficacité est très limitée à ce jour. Selon une étude avant/après instauration de ces messages, seuls 21 % des buveurs se souviennent du message sur la grossesse. Les autres messages sont passés inaperçus. De nombreuses études montrent que les messages n’ont pas d’impact car les messages sont trop petits et de mauvaise conception. Pour que ces messages soient lisibles et touchent la population, il faut, comme cela été démontré dans la lutte contre le tabac, faire des messages qui sont ciblés, « attractifs » et qui sont présents sur une grande surface et non cachés sous un code barre à l’arrière en tout petit. Si nous savons que les messages négatifs ne sont pas les meilleurs messages pour motiver au changement de comportement, ils doivent néanmoins jouer dans les processus précoces qui amèneront à un changement ultérieur surtout si ce message fait peur.

Il est donc proposé de renforcer les étiquettes en les rendant plus visibles sur les contenants d’alcool, en augmentant leur taille et en utilisant un fond jaune vif ou coloré.

 

Présentation de l’étude canadienne

Les auteurs ont voulu évaluer l’impact de messages de prévention en se basant sur des étiquettes adaptées. Outre l’attention des consommateurs, ils évaluent aussi l’évolution de la consommation (auto déclaration). Pendant 8 mois, ils vont tester 3 messages, sur le cancer et plus particulièrement le colon et le sein (prévalence importante au Canada), sur les recommandations nationales de consommations et sur la quantité d’alcool contenue dans les boissons. En bref que des messages d’information connus depuis plusieurs décennies. Une unité d’alcool canadienne est égale à 13,45 g d’éthanol contre 10 g en France.

Les étiquettes créées (exemples ci-dessous) sont de taille 5 cm par 3,2 cm et traduite dans les deux langues du pays.

En parallèle, une campagne de communication était prévue avec affiche et stands dans les magasins, site web, ligne téléphonique, spots radio…

Le tout a été réalisé pendant 8 mois dans la capitale du Yukon (Whitehorse) sur toutes les boissons à l’exception de quelques bières et cidres locaux. Le bras contrôle était la capitale des territoires du nord-ouest (Yellowknife). Ces deux territoires sont les seuls à imposer depuis 1991 des messages d’alertes (grossesse et alcool pour le Yukon, conduite d’engins et généralité en plus pour les territoires du nord-ouest) au Canada.

La vente d’alcool est réservée aux personnes âgées de plus de 19 ans. Première période en mai 2017, pendant 6 semaines pour évaluer l’avant intervention. Fin 2017, application des messages sur toutes les bouteilles, mais l’opération n’a duré qu’un mois au lieu de 8 à cause de la pression des alcooliers sur les pouvoirs publics. Pendant ce mois, 47 000 bouteilles contenaient le message sur le cancer, 53 000 sur les recommandations nationales de consommation. Sous pression, le gouvernement autorisera la reprise de l’étude en  2018 à la condition que l’étiquette concernant les risques de cancer soit supprimée. Au final, plus de 200 000 bouteilles seront étiquetées. Les spots radios, affiches et stands en magasins n’ont pu avoir lieu sous la pression des alcooliers. Un questionnaire qui durait environ 18 min était administré à tous les acheteurs d’alcool sur la période de l’étude.

Principaux résultats

1233 personnes dans le Yukon et 816 dans le bras contrôle ont participé. D’âge moyen 45 ans, plutôt blanc, sexe ratio équivalent, de tous niveaux éducatifs avec des revenus plutôt élevés. Sur le plan consommation, très majoritairement des personnes qui consommaient moins de 10 (femme) à 15 (homme) unités canadiennes par semaine.

Au final, ces étiquettes ont permis d’attirer l’attention des consommateurs sur les dangers de l’alcool et ont entrainé une baisse significative de la consommation autodéclarée.

Plus les étiquettes sont présentes dans le temps, plus leurs impacts est important.

Conclusion

Cette étude montre l’l’impact de la communication sur les dangers de l’alcool auprès des buveurs qui modifient de ce fait leurs comportements.

Ces résultats confirment l’hypothèse que le renforcement des messages et l’importance de la conception de ces étiquettes d’avertissement améliorent leur efficacité pour changer les comportements de consommation d’alcool. Ces étiquettes améliorées attirent attention des consommateurs qui réagissent en modulant leur consommation. Ceci est d’autant plus vrai que ces étiquettes sont présente dans la durée. D’autres études seraient nécessaires pour connaitre les caractéristiques optimales (couleur, taille, message) dans la diffusion de l’information. L’effet cumulatif des messages (santé, recommandations nationales, quantité contenue dans la boisson achetée) associé à l’aspect de ces étiquettes améliorent les résultats cognitifs et comportementaux parmi les buveurs par rapport aux étiquettes d’alcool avec de vagues déclarations de risques. Ces résultats sont peut-être en lien avec le renouveau, en effet, les messages actuels sont peu lisibles et présents depuis des décennies, les gens les connaissent et n’y font plus attention. Les auteurs se posent donc la question de faire varier les messages et l’aspect visuel sur le même alcool comme c’est le cas pour le tabac. Cette étude, une première sur l’alcool a néanmoins des biais. Elle ne concerne que deux villes dans un seul pays avec un effectif limité, peu de précarité et peu de gros buveurs. Or nous savons que cette population (diplômée, haut revenu) sont les plus à même d’être à l’écoute des messages de prévention. Qu’en est-il ailleurs ?

Quoiqu’il en soit, quand on observe (dans cette étude, mais également lors du Dry January en France) la levée de bouclier et la pression sur les gouvernements de la part des alcooliers, on peut confirmer que l’affichage de message de santé publique sur les bouteilles d’alcool est efficace pour baisser les consommations. Ces éléments montrent bien que l’argent des alcooliers a un pouvoir supérieur à la santé publique.

En France, seul le logo femme enceinte barré est présent sur toutes les bouteilles, mais ce logo ne dépasse pas 1 cm de diamètre et il est souvent caché en bas au dos de la bouteille. Rares sont les bouteilles qui précisent le nombre d’unités d’alcool qu’elles contiennent.

A quand un loi Evin 2.0 imposant à l’alcool ce qui est imposé au tabac ?

Un article de Mathieu Chappuy

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