Impacts de l’ouverture 24h/24 d’une salle de consommation à moindre risque à Barcelone

Autres drogues

La situation dans le monde, en Europe et à Barcelone :

Les salles de consommations à moindre risque (SCMR) sont encore assez rares dans le monde. On en retrouve depuis plusieurs années dans quelques pays comme l’Allemagne, l’Australie, le Canada, les Pays-Bas ou la  Suisse.

A ce jour, concernant la France, nous ne disposons que de 2 projets opérationnels situés Paris et Strasbourg (dans un cadre expérimental).

A Barcelone (2ème ville du pays avec 1,6 millions d’habitants), nos voisins espagnols disposent de 9 SCMR dont une mobile et une dédiée à l’inhalation.

Pour rappel, les SCMR ont montré leurs intérêts dans l’amélioration de la santé des usagers de drogues, dans la réduction des overdoses et des décès par surdoses. Elles entrainent aussi une augmentation de la prise en charge médicale des usagers. En revanche, à ce jour, ces salles n’ont pas démontré formellement une réduction de la transmission du VIH ou de l’hépatite C. L’autre frein au déploiement est l’accueil qui leur est réservé par les riverains alors même que ces lieux réduisent les consommations de rue et la présence de matériels souillés abandonnés dans les lieux publics. Bien que souvent annoncé par ses détracteurs, ces salles n’augmentent pas le trafic ni les premières consommations par injections.

Les SCMR européennes (sauf Madrid) sont ouvertes entre 3h et 20h par jour. Deux salles au monde (Vancouver et Madrid) sont ouvertes 24h/24. La salle de Baluard à Barcelone était ouverte de 7h à 22h. Et ce sont les riverains, gênés par les consommations dans la rue la nuit, qui ont poussé à une ouverture non-stop via une pétition.

Impacts de cette ouverture non-stop :

Les auteurs nous proposent une étude sur l’évolution du profil des usagers lié à ce changement. Est-ce les mêmes profils d’usagers, les mêmes produits ? Y a-t-il plus d’overdose non létale ?

D’un point de vu méthodologique, les auteurs ont comparé les usagers et leurs consommations sur une première période de 4 mois pendant laquelle le centre était ouvert 15h/jour (phase 1), puis une seconde de 4 mois durant laquelle le centre ne fermait plus (phase 2). La période dite de journée concernait les venues de 7h à 22h et la période de nuit s’étendait de 22h à 7h.

1 994 personnes ont participé à cette étude, 1 089 en phase 1 et 1 262 en phase 2.

Concernant le profil des usagers : aucune différence significative entre les phases 1 et 2.

Nous retrouvons 85 % d’hommes, 14.8 % de femmes et 0,2 % de non-binaire.

L’âge moyen était de 39 ans, 40 % étaient espagnols, 40 % européens et 20 % provenaient du reste du monde. Concernant l’habitat, 40 % étaient SDF.

Les pics d’activité ont eu lieu à 8h, 16h et sur la période de nuit, vers 22h puis diminuait au fil du temps.

La phase 1 représentait plus de 35 000 passages et la phase 2 plus de 47 000. L’ouverture 24/24 a donc entrainé un gain d’activité de 36 %.

 

  • Comparaison phase 1/2 :

Une petite augmentation significative du nombre de femmes (15,7 % vs 14,9 %) et  d’européens (46,5 % vs 44 %) a été constatée.

Une augmentation significative du nombre d’injections de cocaïne (27,7 % versus 23,8 %) a également été observée depuis l’ouverture nocturne, sans qu’il n’y ait de façon significative plus d’overdoses à l’héroïne ou à toute autre drogue.

 

  • Comparaison période jour/nuit sur la phase 2 :

Les femmes étaient plus présentes la nuit (17,0 % vs 11,6 %), comme les européens (42.6 % vs 37,3 %) et les SDF (46,5 % vs 30.1 %).

Dans les usagers de la nuit, 85 % visitaient plus d’une fois la structure contre 50,8 % pour les usagers du jour.

Concernant les overdoses, bien que non significatives, il a été observé un ratio de prévalence de 3,9 en faveur de la nuit. Si on ne retient que les consommations d’héroïne, ce ratio de prévalence est de 4,7 et il est significatif.

Le profil de consommation était également différent puisque la consommation d’héroïne injectée ou inhalée était significativement supérieure (+25 %) le jour par rapport à la nuit. A l’inverse, la cocaïne était plus injectée (+36%) ou inhalée (+20%) la nuit.

L’héroïne injectée était surtout consommée entre 9-10h et 19-20h tandis que la cocaïne injectée l’était surtout entre 5-6h.

Au final :

Cette étude montre donc les différents impacts des horaires d’ouvertures sur les consommations et le public présent.

Parmi les limites de cette étude, on retrouve l’absence de comparaison avec d’autres salles, ce qui rend difficile l’extrapolation à d’autres salles ou pays. Ceci dit, les produits n’étant pas forcément les mêmes, la comparaison restera difficile. De même, il n’est pas impossible que la saisonnalité soit  un facteur de variabilité. En effet, la phase 2 a eu lieu de juillet à octobre.  Les  congés d’été ont peut être entraîné une plus forte présence d’européens par exemple. Pour les auteurs, si ce facteur existe, il reste cependant mineur.

L’augmentation de la prise de cocaïne la nuit peut s’expliquer par la nature de cette drogue et par le fait que les usagers n’avaient pas de lieux dédiés à cette consommation. Il y a donc peut-être eu un facteur de concentration alors que pour l’héroïne (plus utilisée en journée), les SCMR étaient déjà disponibles.

Concernant le sur-risque d’overdose aux opiacés la nuit, les auteurs supposent l’impact du rythme circadien qui augmenterait la susceptibilité, mais également la teneur en principe actif qui pourrait être plus forte la nuit.

Concernant la présence féminine plus importante la nuit, la SCMR d’Hambourg en Allemagne a fait la même constat. Les auteurs pensent que l’hostilité de la rue la nuit les poussent à retrouver refuge dans une SCMR.

Pendant la phase 2, 9 plaintes du voisinage (bruit nocturne) ont été déposées contre 17 plaintes nocturnes lors de la phase 1 (consommation lieu public, deals…).

Les auteurs précisent que la surcharge de travail la nuit est peut être le reflet du manque de foyer pour les SDF usagers de drogues qui utilisent les SCMR comme des refuges.

Pour conclure, il reste à clarifier le risque potentiel d’overdoses supérieur la nuit en lien avec les consommations d’héroïne et identifier les raisons de la féminisation la nuit.

Si cette enquête montre l’intérêt de l’ouverture 24h/24, elle a nécessité un investissement humain et financier important qui n’a pas pu être pérennisé à ce jour, le centre est ouvert de 7h45 à 22h en semaine et de 10h à 21 h les week-ends et jours fériés.

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