Impact néonatal de l’usage de cannabis pendant la grossesse : une importante étude de cohorte californienne parue dans la revue Addiction

Cannabis

Aux USA, comme dans beaucoup de pays occidentaux, le cannabis est très facile d’accès, et même légalisé dans certains Etats, et il devient ainsi plus « acceptable » d’en consommer. Logiquement, on observe depuis le début du XXIe siècle une augmentation de la consommation de cannabis lors de la grossesse, puisque cet usage est passé de 3,4% en 2002 à 7,0% en 2016. Mais la prévention auprès des femmes enceintes reste encore faible, et les connaissances sur l’impact fœtal et néonatal du cannabis sont encore mal connus par le grand public et les professionnels de santé eux-mêmes. Au niveau physiopathologique, le tétrahydrocannabinol (THC), qui est le composé principal du cannabis, est lipophile et passe la barrière hémato-encéphalique. Par ailleurs, il s’accumule dans le plasma fœtal en concentration élevée. Il est donc important de mieux comprendre les conséquences de l’exposition du cerveau fœtal aux consommations de cannabis.

Cette étude de cohorte parue dans Addiction avait pour objectif d’évaluer l’association entre la consommation de cannabis pré natal et les conséquences néonatales, mais également d’examiner les différences d’association selon le statut tabagique de la mère et son ethnie. Il s’agissait d’une étude de cohorte rétrospective sur des couples mère-enfant. Les dyades incluses étaient les mères ayant accouché entre le 1er janvier 2001 et le 31 décembre 2012 en Californie, aux États-Unis, et leur nouveau-né apparié. Les auteurs ont obtenu les dossiers de sortie d’hôpital et les certificats de naissance et de décès. Les données de l’année 2006 n’ont pas été incluses car la consommation de tabac était enregistrée de façon inconstante sur le certificat de naissance. Les auteurs ont ainsi analysé 5,68 millions de naissances vivantes, avec exclusion de 379 129 naissances (les motifs d’exclusion étaient : naissances multiples, naissances dont l’âge de la mère n’était pas situé entre 9 et 49 ans, et naissances dont la durée de gestation n’était pas de 22 à 24 semaines d’aménhorée (SA)). Un total de 4 830 239 couples mère-enfant ont été rentrés dans l’analyse statistique.

La mesure de la consommation de cannabis prénatal était établie par l’apparition du diagnostic d’abus de cannabis ou de dépendance au cannabis (critères CIM 9) dans le dossier de sortie de l’hôpital des mères. Les critères de jugement néonataux étaient la durée de gestation, la naissance prématurée avant 37 SA, le poids à la naissance, la déviation standardisée du poids à la naissance, ainsi qu’un faible poids à la naissance (<2.5g). Les critères secondaires étaient l’hospitalisation, l’admission en soins intensifs néonataux ou le décès dans l’année qui suit la naissance. Les facteurs de confusion potentiels des études précédentes ont été contrôlés par plusieurs outils statistiques complexes : appariement par score de propension pour atténuer les biais de sélection, appariement de 1 :2 : 1 exposé pour 2 non-exposés. Les outils de modélisation ont été la régression logistique et la régression mixte linéaire, avec des analyses en sous-groupe pour observer l’effet de l’ethnie de la mère et l’utilisation de tabac chez la mère.

Au total, le groupe exposé était constitué de 20 237 dyades « cannabis » exposées au CUD (Cannabis use disorder) vs le groupe contrôle non exposé, composé de 40 474 dyades (groupe témoin). Après appariement, les deux groupes étaient totalement comparables, sauf pour une variable « autre trouble liée à l’usage de drogue », différente entre les deux groupes. Cette différence a été intégrée dans les analyses. D’après cette étude, la consommation de cannabis prénatale est associée à une probabilité plus élevée d’avoir une petite taille pour l’âge gestationnel, d’avoir une naissance prématurée, d’avoir un petit poids de naissance, un z-score de poids à la naissance plus petit que 0,071. L’observation la plus notable est que les nourrissons exposés étaient 35 % plus susceptibles de mourir dans l’année suivant la naissance que les nourrissons non exposés. Cependant, les auteurs ne retrouvaient pas de différence significative pour le temps de gestation, pour l’hospitalisation en unité de soins intensif néonatal à la naissance. Un autre résultat, contre-intuitif, était que l’exposition prénatale au cannabis était associée à une probabilité plus faible d’hospitalisation dans l’année suivant la naissance. Une explication possible est que les nourrissons les plus gravement malades sont décédés à la suite d’une exposition prénatale au cannabis, de sorte que les nourrissons exposés restants pourraient être relativement en meilleure santé que les nourrissons non exposés au cannabis.

L’analyse en sous-groupe montre que les nouveau-nés exposés au cannabis pendant la grossesse avaient une plus grande probabilité de naissance prématurée, de faible poids à la naissance, d’hospitalisation dans l’année suivant la naissance et de décès dans l’année de naissance et une durée de gestation et un petit poids de naissance. Par ailleurs, les nourrissons des mères hispaniques présentaient un risque plus élevé d’hospitalisation et de décès dans l’année suivant la naissance, un risque plus faible d’être petit pour l’âge gestationnel et le faible poids à la naissance, et un poids à la naissance et un score z de poids de naissance plus élevés en association avec la consommation de cannabis prénatale.

Les auteurs identifient plusieurs limites à leur travail :

  • Probable sous-estimation du diagnostic de consommation de cannabis chez les femmes enceintes. Le biais d’auto-déclaration devrait être moins important dans les années à venir avec la légalisation du cannabis.
  • Pas d’élimination des biais des facteurs de confusion non observé.
  • Pas de généralisation des résultats pour les mères qui consomment du cannabis sans répondre aux critères de la CIM (consommation moins intense et/ou sur le moins long terme).
  • Mères classées dans le groupe témoin car la consommation de cannabis était pendant la grossesse et non pendant la phase d’accouchement. Pas d’analyse des modèles de consommation de cannabis (fréquence, dose, durée etc…).
  • Les données des certificats de naissance comportent des réserves avec des informations sous déclarées comme le tabac. 7% des paires abandonnées par manque d’information sur le certificat de naissance, et des données manquantes sur les caractéristiques paternelles : pas de contrôle des facteurs de confusion.
  • Pas d’évaluation de la cause du décès ni de développement neurologique à long terme, pas de contrôle des facteurs de confusion lié aux enfants, pas de généralisation possible des résultats sur les mères accouchant en dehors de l’hôpital et en dehors de la Californie.

Il s’agit de la plus grande cohorte de recherche sur la consommation prénatale de cannabis. Cette étude a ajouté de nouvelles données à la littérature et les auteurs recommandent le dépistage de la CUD chez les femmes enceintes consommant du cannabis, ainsi qu’une sensibilisation, des conseils ou une orientation appropriée vers des services de traitement addictologique.

Par :

Juliette CHEUCLE

Interne de psychiatrie en 4e semestre

Benjamin ROLLAND

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