Aujourd’hui, de plus en plus de centres d’addictologie font le choix de la pluridisciplinarité et offrent un panel complet de spécialistes afin de pouvoir traiter tous les aspects des addictions comportementales : psychiatre, psychologue et neuropsychologue, assistant(e) social(e), psychomotricien, etc. Les prises en charge globales offrent en effet davantage de possibilités aux patients de réussir à prendre en charge leur addiction. Faisons le point aujourd’hui sur l’expertise que peut apporter un neuropsychologue dans le traitement des addictions comportementales.
Qu’est-ce que la neuropsychologie ?
Un neuropsychologue est un psychologue qui a consacré les deux dernières années de sa formation universitaire à une spécialisation en neuropsychologie. Au croisement de la neurologie et de la psychologie, la neuropsychologie est une science qui s’intéresse aux liens entre le cerveau et le fonctionnement humain (comportements, cognitions et émotions). Le neuropsychologue évalue et prend en charge notamment ce que l’on appelle les fonctions cognitives, qui sont l’ensemble des processus cérébraux par lesquels l’être humain reçoit les informations de son environnement, les traite, les manipule, les communique et s’en sert pour agir et interagir. Elles incluent par exemple la capacité à mémoriser, à être attentif, à planifier, à raisonner, le langage, les praxies (mouvements), la flexibilité mentale (capacité à switcher d’une tâche à une autre) ou encore le contrôle inhibiteur (faculté à réprimer une action spontanée ou à interrompre une action commencée).
Des études ont démontré que certaines de ces fonctions peuvent être fragilisées en cas d’addictions comportementales (mémoire, attention, fonctions exécutives) et notamment le contrôle inhibiteur. Les fragilités neuropsychologiques peuvent réduire le bénéfice de l’accompagnement et du soin : par exemple, l’adoption de nouvelles stratégies apportées par le soin peut être difficile lorsqu’on manque de flexibilité, et un défaut de contrôle inhibiteur peut empêcher à la personne de résister aux envies irrépressibles de réaliser le comportement addictif malgré un souhait d’abstinence. Toutes ces difficultés peuvent participer au maintien du comportement addictif et constituer un véritable frein à la motivation et au changement, autant pour les patients eux-mêmes que pour les soignants, qui peuvent être mis en difficulté par l’incapacité des patients d’adhérer aux soins.
L’évaluation neuropsychologique
Le psychologue spécialisé en neuropsychologie ne pose pas de diagnostic mais décrit le fonctionnement cognitif des personnes en évaluant leurs capacités à retenir (mémoire), se concentrer (attention), s’organiser, réfléchir, comprendre l’autre, traiter l’information, être flexible… Il ne pose pas de diagnostic, mais propose une investigation du fonctionnement cognitif et repère les fragilités à ce niveau, permettant de compléter l’évaluation globale réalisée par le médecin qui pourra poser un diagnostic et proposer une prise en charge globale adaptée à chaque cas.
En général, l’évaluation neuropsychologique s’effectue en plusieurs étapes :
- « l’anamnèse » : cet entretien préliminaire permet de recueillir des informations (contexte de la demande, situation familiale, parcours scolaire/professionnel, parcours dans la pathologie et degré de conscience de ses propres troubles, répercussions sur la vie quotidienne, antécédents médicaux, présence d’autres troubles).
- « la passation du bilan neuropsychologique » : le neuropsychologue fait passer des tests cognitifs au patient. Les tests proposés sont déterminés en fonction de la plainte du patient, afin d’explorer les différentes fonctions cognitives possiblement concernées. Les résultats des tests sont calculés a posteriori par le neuropsychologue pour aboutir à des scores, en tenant compte notamment de l’âge, du sexe et du niveau d’étude du patient. De plus, tout au long de la passation de ces tests, le neuropsychologue observe la manière dont le patient se comporte, et ces informations qualitatives sont également prises en compte lors de l’interprétation des résultats.
- « la restitution » : c’est le moment où le neuropsychologue revoit le patient pour lui présenter l’interprétation des résultats des tests et lui remettre un compte-rendu, qui sera également transmis au reste de l’équipe qui accompagne la personne dans son projet de soin, avec une recommandation de prise en charge.
La remédiation cognitive
La remédiation cognitive est une forme de prise en charge réalisée par le neuropsychologue, et ayant pour objectif de diminuer l’impact des difficultés cognitives sur la vie quotidienne et notamment sur la pathologie du patient. Dans le cadre des addictions, elle vise à la fois :
- à faire découvrir aux patients la façon dont ils fonctionnent en favorisant l’auto-observation et l’auto-analyse des schémas de fonctionnement, et à faire prendre conscience aux patients de l’impact des fonctions altérées sur les conduites addictives ou à l’inverse de l’impact des conduites addictives sur les fragilités cognitives,
- à entrainer, lorsque c’est possible, les fonctions défaillantes de façon intensive, et/ou à contourner les difficultés, en réfléchissant à des stratégies de compensation s’appuyant sur les ressources cognitives du patient ; on parle ainsi de « kiné » du cerveau,
- à permettre de transférer les compétences et les stratégies acquises lors de la remédiation cognitive directement dans le quotidien (les exercices sont progressivement adaptés pour correspondre aux situations réelles de la vie de tous les jours).
Souvent, la remédiation cognitive s’appuie sur des exercices ludiques, réalisés sur ordinateur ou sur papier, qui font travailler la fonction cognitive ciblée. Les séances avec le neuropsychologue sont souvent rapprochées dans le temps (souvent 2 séances par semaine), réalisées sur une période de plusieurs semaines, et accompagnées d’exercices à réaliser en autonomie par le patient afin de favoriser le transfert en vie quotidienne.
La répétition des séances, la progressivité de la difficulté et l’implication active du patient dans la remédiation sont les clés de la réussite de ce type de thérapie. La réussite de la remédiation cognitive permet d’appuyer la mise en place du changement, et de favoriser également l’efficacité des autres thérapies et traitements proposés.
Et en cas d’échec ?
L’échec de la prise en charge neuropsychologique et /ou de la réduction de la pratique addictive ne doit pas être perçu comme définitif. Les prises en charge peuvent être adaptées au cas par cas par le psychiatre lorsque le patient ne progresse pas dans son projet de soin, afin d’identifier les mesures thérapeutiques qui seront les plus efficaces.
Une évaluation neuropsychologique complémentaire peut ainsi être proposée, afin d’identifier la présence d’un éventuel trouble neurodéveloppemental (TND) (c’est-à-dire lié à une perturbation du développement cérébral pendant l’enfance, qui conduit à des difficultés cognitives, comportementales et/ou affectives plus ou moins grandes à tous les âges de la vie). Il s’agit par exemple de repérer un trouble de l’attention avec ou sans hyperactivité (TDAH) ou un trouble du spectre de l’autisme (TSA) qui n’auraient pas été identifiés jusque-là, ces TND étant régulièrement associés aux troubles addictifs. Les TND pourraient avoir des conséquences à la fois sur la capacité du patient à réduire sa pratique addictive (fort besoin de routine pour un TSA par exemple), mais aussi à répondre favorablement à la prise en charge (difficulté à respecter régulièrement le traitement proposé pour un TDAH par exemple). La présence d’un TND doit donc être prise en compte dans la stratégie thérapeutique proposée au patient.
Pour en savoir plus :
https://www.raptorneuropsy.com/neuropsychologie
Retrouvez le guide pratique «La neuropsychologie au service des addictions comportementales» sur le site de l’Institut Fédératif des Addictions Comportementales (IFAC) du CHU de Nantes.