Le protoxyde d’azote : pas de quoi rire…

Un éditorial paru dans Addiction

Autres drogues

Dans la revue phare Addiction vient de paraître un éditorial de l’équipe de Wim van den Brink (Université d’Amsterdam, aux Pays-Bas), qui vise à alerter sur les usages croissants du protoxyde d’azote (N2O). Un peu partout, notamment en Europe, aux USA, et même en Chine, on note une nette augmentation de l’usage récréatif de ce gaz dit « hilarant », en particulier chez les jeunes. Ces derniers sont souvent ignorants des méfaits potentiels de ce produit, en particulier en cas d’usage intensif et/ou prolongé. Les auteurs plaident pour un « effort combiné de meilleur encadrement légal et de meilleure éducation sur les effets secondaires potentiels du N2O ».

Le protoxyde d’azote a été inhalé sans grand souci par des centaines de millions de patients depuis le milieu du XIXe siècle. Le N2O est, en effet, très utilisé pour la micro-anesthésie, dans le cadre de petite chirurgie ou de soins dentaires. Aujourd’hui, l’usage récréatif est donc répandu, à tel point qu’au Royaume-Uni en 2019-2020, le taux d’usage sur l’année écoulée a été estimé à presque 9 % des 16-24 ans, ce qui fait du N2O le deuxième produit non-légal consommé, derrière le cannabis. Le taux d’usage serait de plus de 50 % chez les usagers d’autres drogues non-commercialisées. Le N2O génère des nuisances publiques, en particulier les déchets des cartouches vides sur le sol, ce qui a amené de nombreux médias à demander à ce que ces cartouches ne soient plus aussi facilement accessibles. Mais des experts ont souligné que si tel était le cas, les usagers pourraient se tourner vers d’autres produits récréatifs plus nocifs, comme la colle. Ils estiment que la meilleure option serait de mieux informer les usagers des conséquences liées à leur usage de N2O.

Celui-ci entraîne des effets secondaires, parfois graves. Ainsi, les événements indésirables graves en lien avec un usage de N2O auraient quadruplé entre 2012 et 2016 aux USA. Il s’agit surtout d’hospitalisation voire de décès, qui cachent les principaux risques de ce produit, qui sont d’ordre neurologiques. En cas d’usage massif et/ou prolongé, le N2O peut entraîner une démyélinisation généralisée de la moelle épinière et des nerfs périphériques, avec une faiblesse musculaire plus ou moins prolongée, voire une paralysie totale. Cette complication serait en lien avec une déplétion de la vitamine B12. Le N2O en excès finit par casser la balance entre vitamine B12 (cyanocobalamine) et d’autres métabolites cellulaires, comme l’homocystéine ou le méthylalonate, ce qui provoque une démyélinisation plus ou moins rapide. En outre, le N2O provoque des accidents du fait de l’ivresse provoquée, notamment des cas d’accidents de la route, également en augmentation un peu partout.

Les auteurs estiment que la réponse doit donc être double : restreindre l’accès aux cartouches de N2O d’une part, par une évolution de la législation, et mieux informer les usagers d’autre part, afin qu’ils évitent l’usage prolongé et/ou massif de ce produit, qui en usage limité, ne semble pas provoquer de risque médical (le risque d’accident peut lui perdurer). Les urgentistes et neurologues devraient aussi être mieux informés pour réagir rapidement en cas de trouble neurologique et administrer rapidement de la vitamine B12. Ce que les auteurs n’abordent pas, c’est le risque addictif éventuel de ce produit. Si ce dernier est nul, alors pourquoi miser sur une prévention visant à limiter les usages massifs ou prolongés. Mais certains addictovigilants semblent avoir rapporté des cas de difficultés à réduire les usages, de perte de contrôle, et de craving. Si tel est le cas chez certains usagers, c’est bel et bien d’une prise en charge addictologique dont ils auront besoin, et le monde de l’addictologie devra apprendre à gérer les sevrages en N2O, au sein des nombreux nouveaux produits qui ont émergé ces dernières années, comme les gabapentinoïdes, les cathinonesetc…

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Par Benjamin Rolland