Les comportements de Doctor Shopping en France concernent-t-ils davantage les benzodiazépines ou les opioïdes antalgiques ?

Une étude française sur les bases de la Sécurité Sociale publiée dans Drug & Alcohol Dependence.

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Les opioïdes antalgiques et les benzodiazépines sont les deux classes médicamenteuses les plus à risques de comportements de mésusage et d’addictions. Parmi ces comportements, le Doctor Shopping (DS) consiste à multiplier les prescripteurs pour augmenter le volume d’accès à ces traitements, et donc les quantités consommées dans un but non-thérapeutique. Les équipes des CEIP de Toulouse et de Marseille viennent de réaliser une étude portant sur l’intégralité des assurés sociaux français ayant reçu au moins une délivrance de benzodiazépines ou d’opioïdes antalgiques non-injectables en 2013, soit 11,7 millions de personnes. Pour chaque traitement était calculée la « quantité » de DS, c’est-à-dire la quantité de traitements obtenue par chevauchement d’ordonnances de plusieurs prescripteurs, ainsi que l’indicateur de DS qui correspond à la quantité de DS divisée par la quantité totale de traitement dispensée.

Les auteurs ont retrouvé un indicateur de DS moyen légèrement supérieur pour les opioïdes forts (2,79%), par rapport aux benzodiazépines (2,06%). La molécule qui avait l’indicateur de DS le plus élevé était une benzodiazépine, le flunitrazépam (Rohypnol®), avec 13,2% des délivrances qui se faisaient dans le cadre de chevauchements. Derrière suivait la morphine (4% des délivrances) et le zolpidem (2,2%). Les opioïdes forts avec le plus fort indicateur de DS étaient la morphine (4%), l’oxycodone (1,7%), et le fentanyl (1,5%). L’étude retrouvait toutefois des disparités importantes selon les dosages, avec des hauts taux de DS qui se retrouvaient pour les dosages les plus élevés, en particulier de morphine (8,4% pour le dosage à 200 mg), et l’oxycodone (80 mg). Les modes d’administration expliquaient aussi le potentiel de Doctor Shopping puisque pour le fentanyl, les indicaeurs de DS étaient plus élevés pour la forme nasale (4,1%) et transmuqueuse (3,3%). Enfin, de manière peut-être assez paradoxale, le plus haut taux de DS pour la morphine était constaté pour la forme à libération prolongée (4,1%).

Il s’agit là d’une des premières études françaises sur bases de données exhaustives. L’assurance maladie en France, grâce à son fichier unique, permet ainsi des études de très haute valeur puisque portant sur la quasi-totalité des français concernés, soit plusieurs millions d’individus. Cette force de frappe scientifique était jusqu’à il y a peu de temps, quasiment inaccessibles du fait de contraintes diverses qui se lèvent progressivement. L’apport de ces données extrêmement précieuses, associées au savoir-faire méthodologique d’équipes de pointes en matière de pharmaco-épidémiologie, va permettre on l’espère une visibilité bien meilleure sur les comportements de mésusage de médicaments en France, et sur leurs conséquences sanitaires encore insuffisamment connues dans l’Hexagone.

 

 

 

Par Benjamin Rolland

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