Les répercussions de la consommation d’alcool sur la microstructure du cerveau : les éclairages de deux publications récentes

Alcool

L’alcool induit au niveau du cerveau des changements neuronaux qui incitent à sa consommation et favorisent les comportements d’addiction. Cependant, l’influence exacte de l’alcool sur la structure et en particulier la structure microscopique du cerveau reste inconnue. Deux études récentes menées par l’équipe de Santiago Canals1,2 et Wolfgang Sommer ont utilisé l’imagerie par résonance magnétique (IRM), et en particulier l’imagerie par tenseur de diffusion (DTI) pour étudier ces phénomènes.

La DTI est une séquence d’IRM qui s’intéresse à la diffusion des molécules d’eau dans le parenchyme cérébral. Elle permet ainsi de détecter des changements microscopiques dans le cerveau bien avant l’apparition de changements macroscopiques observables en séquence d’IRM volumétrique. La DTI calcule deux paramètres essentiels : la fraction d’anisotropie (FA) et la diffusivité moyenne (MD) de l’eau. Une FA basse indique que les molécules d’eau diffusent dans toutes les directions sans restriction. Des changements de MD ont été associés dans des études animales à de la neuro-inflammation ; cette neuro-inflammation est un des mécanismes importants évoqués pour comprendre les lésions cérébrales induites par la consommation d’alcool. La DTI renseigne également sur la dynamique liquidienne dans le compartiment extra-cellulaire. Ceci a son importance dans l’étude des effets pharmacodynamiques de l’alcool : on sait que les altérations du compartiment extra-cellulaire affectent la dynamique de neurotransmetteurs tels que le glutamate et les monoamines, ce qui peut expliquer le potentiel addictif de l’alcool.

La première étude1 s’est intéressée aux changements cérébraux mis en évidence par la DTI chez des sujets alcooliques par rapport aux contrôles et à leur évolution au cours d’une période d’abstinence de 6 semaines. Cette étude a mis en évidence des changements diffus dans la microstructure chez les sujets alcoolo-dépendants par rapport aux contrôles, principalement dans l’hémisphère droit et dans le lobe frontal. Ces changements évoluent rapidement (2-6 semaines) après l’arrêt de la consommation d’alcool. En parallèle, le groupe de recherche a mené une expérimentation chez l’animal et a démontré que ces changements de microstructure chez le sujet alcoolique étaient comparables à ceux retrouvés chez le rat après ingestion d’alcool pendant un mois. L’étude a également identifié qu’au plus la consommation d’alcool chez les sujets humains était élevée, au plus la fraction d’anisotropie était basse. La DTI étant peu spécifique, interpréter ces changements de diffusion en termes de substrats neurobiologiques sous-jacents est difficile. Les différents modèles proposés par le groupe de Santiago Canals intègrent une réduction des fibres de petit calibre, des irrégularités de la myéline, une démyélinisation ou remyélinisation segmentale, accompagnée de neuro-inflammation. Ces modèles se basent également sur la contribution des différents compartiments liquidiens au signal de la DTI. Ils affirment qu’un déséquilibre entre les compartiments liquidiens de diffusion restreinte ou isotropique pourrait affecter les paramètres de la DTI ; ainsi, des changements observés dans la fraction d’anisotropie seraient attribuables à la réaction gliale et au phénomène inflammatoire, qui s’accompagnent de changements de volumes intra- et extra-cellulaire.

La seconde étude2 s’est focalisée sur la substance grise chez l’homme et chez l’animal, et les mécanismes biologiques expliquant les modifications à l’IRM. Elle est la première à mettre en évidence les changements de diffusivité moyenne dans la matière grise chez le sujet alcoolique, et la concordance des résultats obtenus chez l’homme et chez l’animal en fait une étude robuste. Contrairement à la substance blanche, la substance grise montre peu d’évolution au cours de la période de sevrage. L’analyse chez l’homme et chez le rat après une consommation d’alcool chronique a permis de mettre en évidence une augmentation de la diffusivité moyenne dans la matière grise et une diminution de la tortuosité dans l’espace extra-cellulaire. Cette modification de l’espace extra-cellulaire pourrait s’expliquer par une réaction de la microglie. L’analyse histologique post-mortem des cerveaux de rats révèle en effet une réduction du nombre de cellules microgliales et de leurs ramifications, ce qui signifie une réduction dans les barrières de diffusion et est cohérent avec l’augmentation de diffusivité moyenne et la réduction de la tortuosité extra-cellulaire. Enfin, l’étude a démontré que la géométrie de l’espace extra-cellulaire avait un impact sur les dynamiques spatiales et temporelles de concentration en dopamine, ce qui pourrait expliquer le potentiel addictif de l’alcool.

En conclusion, ces deux études ont permis de démontrer, avec l’aide de la DTI, que la consommation chronique d’alcool induisait des changements de microstructure cérébrale, autant dans la matière grise que la matière blanche. Dans la matière blanche, ces changements ont été traduits sur le plan histologique par des altérations de la myéline, des réactions gliales et des changements de volume intra- et extra-cellulaires. Une récupération partielle a été observée au cours du sevrage. Dans la matière grise, ces changements ont pu être liés à des modifications des cellules microgliales (réduction du nombre et des ramifications) ainsi qu’à des changements de géométrie de l’espace extra-cellulaire. Il a été démontré que ces derniers avaient un impact sur la cinétique de la dopamine, et donc potentiellement sur le phénomène addictif. Ces observations ouvrent par ailleurs des perspectives intéressantes sur la manière dont ces changements des microstructures permettront de prédire des changements de la connectivité fonctionnelle entres les différentes aires du cerveau et finalement du comportement des patients alcooliques.

Par Mélissa Salavrakos et Philippe de Timary

  1. De Santis S, Bach P, Pérez-Cervera L, et al. Microstructural White Matter Alterations in Men With Alcohol Use Disorder and Rats With Excessive Alcohol Consumption During Early Abstinence. JAMA Psychiatry. 2019;76(7):749-758. doi:10.1001/jamapsychiatry.2019.0318
  2. De Santis S, Cosa-Linan A, Garcia-Hernandez R, et al. Chronic alcohol consumption alters extracellular space geometry and transmitter diffusion in the brain. Sci Adv. 2020;6(26):eaba0154. doi:10.1126/sciadv.aba0154