Plusieurs études animales et clinique post-mortem pointent l’effet proinflammatoire de l’intoxication éthylique chronique. Celle-ci reposerait sur l’activation microgliale qui exercerait un effet neurotoxique direct, s’ajoutant à la neurotoxicité de l’alcool lui-même, notamment au niveau hypothalamique et médié par la libération de TNFα et d’IL6.
Le rôle de la microglie dans l’effet délétère de l’alcool sur le neurodéveloppement est en revanche moins bien élucidé. Celle-ci aurait la capacité de se « souvenir » d’agressions passées via un mécanisme d’ « amorçage » précoce qui reposerait sur un marquage épigénétique.
L’impact du stress sur le neurodéveloppement via l’axe hypothalamo-hypophysaire-surrénalien (HPS) serait majoré au cours du 3e de grossesse, correspondant aux 2 premières semaines de vie chez le rat.
Les questions ici adressées consistent à identifier si l’exposition précoce à l’alcool amorce la microglie hypothalamique et l’axe HPS afin d’altérer leur réponse plus tard au cours du développement et si ce mécanisme repose sur des facteurs épigénétiques.
Les auteurs ont recours à des modèles murins d’exposition précoce à l’alcool. Pour ce faire, ils utilisent des souris âgées de 2 à 6 jours qu’ils divisent en 4 groupes. 1) alimentation au lait + alcool + injection de solution saline ; 2) même alimentation + injection de minocycline (bloqueur de l’activation microgliale) ; 3) alimentation lactée isocalorique + injection de solution saline ; 4) témoins laissées avec leur mère. Ces rations sont données 2 fois par jour durant 5 jours puis l’animal est sacrifié et son cerveau est prélevé et disséqué pour ne garder que la microglie hypothalamique. Certains animaux des 4 groupes sont élevés jusqu’à J90 où ils sont soit sacrifiés pour des mesures basales ou bien reçoivent une injection de lipopolysaccharides (LPS) (reproduisant un stress infectieux) et sont sacrifiés 2h après. Des prises de sang sont réalisées chez ces souris adultes pour mesure des taux hormonaux d’ACTH et de corticosterone et leur cerveau est prélevé et disséqué pour ne garder que la microglie hypothalamique.
Parallèlement à cela, un modèle de culture cellulaire primaire de microglie exposée à l’alcool est réalisé à partir de dissections hypothalamiques obtenus par dissection de cerveaux de souris sacrifiés à J1 postnatal (avant exposition à l’alcool). Ces cultures cellulaires sont soit exposés à une solution d’alcool soit à une solution neutre (contrôle).
La mesure de l’expression génique est réalisée en RT-PCR permettant d’évaluer quantitativement l’ARNm de l’IL6, l’IL1b, TNFα, MCP-1, TLR-4, CSF-1R. De plus, l’évaluation de l’activité immunitaire repose également sur la mesure de la production protéique par immunocytochimie et cytométrie de flux.
L’activation microgliale au niveau des coupes du noyau paraventriculaire (PVN) et du noyau arqué (ARC) utilisent un marquage immunohistochimique via IBA1 (marqueur spécifique de la microglie) et Cd11b (marqueur de l’activation).
La mesure du marquage épigénétique repose sur l’évaluation de la méthylation de l’ADN totale et de l’acétylation des histones (H3K9ac) des promoteurs de TNFα et IL6 (par immunoprécipitation de la chromatine après immunomarquage spécifique).
A travers cette étude, les auteurs pointent que l’exposition précoce à l’alcool active à court terme la microglie hypothalamique du PVN et l’expression micro gliale de facteurs proinflammatoires et que ces effets persistent à l’âge adulte, non pas à l’état basal, mais après un stress immunitaire, suggérant ainsi un effet d’ « amorçage » de l’immunité par l’alcool. L’axe du stress parait de plus être également hyper réactif au stress immunitaire, ce qui est ici souligné par les taux post LPS de CORT et ACTH.
Ces altérations semblent reposer sur un marquage épigénétique précoce associant une réduction de régulateurs négatifs de la transcription (méthylation globale de l’ADN et MeCP2), une réduction des histones déacétylases (HDA1C et SIRT1) permettant un enrichissement de leur cible H3K9ac. Un enrichissement spécifique des promoteurs de marqueurs proinflammatoires IL6 et TNF-α suggère ce mécanisme comme participant à l’hyperréactivité immunitaire constatée. L’exposition à l’alcool constituerait ainsi un stress immunitaire précoce activant l’immunité cellulaire à court et à long terme.
De manière intéressante, la minocycline permet ici de corriger ces éléments. Celle-ci est connue pour inhiber l’activation M1 microgliale. Ces données suggèrent un potentiel thérapeutique de ce traitement dans les syndromes d’alcoolisation fœtale justifiant d’être investigué.
Les recherches futures devront également évaluer l’impact fonctionnel et comportemental de l’exposition précoce à l’alcool et identifier quelles serait les conséquences d’un blocage de l’activation microgliale.
Hugo TURBE
Interne en psychiatrie, Lyon
Service Universitaire d’Addictologie de Lyon (SUAL)