Lobby alcoolier, loi Evin, prévention alcool chez les jeunes : Addict'Aide vous répond

Guylaine Benech, consultante en santé publique et spécialiste de l'alcool à l'adolescence répond à 4 questions posées par notre communauté sur Facebook.

Alcool

N’y aurait-il pas moyen de mieux définir l’étiquetage des boissons alcoolisées et de réglementer plus fortement la vente de celles-ci, comme on fait en gros pour le tabac ?

Oui, il serait tout à fait possible d’améliorer l’étiquetage des boissons alcoolisées. Une mesure pertinente consisterait à remplacer l’avertissement obligatoire « l’abus d’alcool est dangereux pour la santé » par la simple mention « l’alcool est dangereux » ou « toute consommation comporte un risque pour sa santé », et d’interdire aux marques d’ajouter la phrase « à consommer avec modération ! » qui est un slogan marketing inventé par leurs communicants dans les années quatre-vingt. Il serait opportun d’indiquer systématiquement, comme le font certains pays anglosaxons, le nombre d’unités d’alcool présentes dans chaque produit. Toujours dans un souci d’information du consommateur, l’Etat pourrait obliger les marques d’alcool à faire figurer sur l’étiquette la liste des ingrédients qui entrent dans la composition de leurs produits, ainsi que le nombre de calories. Les pouvoirs publics pourraient également les obliger à apposer un pictogramme d’information à destination des femmes enceintes bien visible, en imposant à celui-ci une taille minimum et un format coloré. Enfin, un meilleur encadrement de la vente de boissons alcoolisées serait utile. L’Organisation mondiale de la santé recommande d’ailleurs aux Etats de prendre une série de mesures visant à modifier la politique de prix et la fiscalité, diminuer l’accessibilité de l’alcool, empêcher la vente aux mineurs etc.

Les jeunes sont particulièrement sensibles au marketing, comment les alcooliers arrivent-ils à les toucher ?

En théorie, la loi interdit aux marques d’alcool de faire la promotion de leurs produits vers les mineurs. Mais dans les faits, communiquer vers les jeunes est presqu’un jeu d’enfants. Il suffit de se déplacer dans l’espace public pour se rendre compte de l’omniprésence du marketing de l’alcool dans notre univers. Les publicités sont autorisées partout, y compris avec de grandes affiches aux abords des écoles, des collèges et des lycées. Parmi les stratégies les plus souvent utilisées par les marques d’alcool pour atteindre les adolescents, nous pouvons mentionner le recours à Internet et aux réseaux sociaux. Si les publicités sur Internet ne sont pas censées atteindre les mineurs, dans la pratique, elles sont souvent vues par des moins de 18 ans, grâce aux réseaux sociaux notamment, qui favorisent le partage de contenus par les jeunes eux-mêmes. L’émission récente de Cash investigation sur les stratégies des marques d’alcool a mis en lumière des pratiques dénoncées depuis longtemps par les acteurs de prévention, telles que le sponsoring illicite d’artistes, ou le recours à des influenceurs. Ces agissements sont strictement interdits par la loi Evin mais les industriels utilisent tous les moyens possibles pour contourner cette loi. Dans les festivals, par exemple, les marques d’alcool ont imaginé un stratagème très habile pour faire la promotion de leurs produits, à travers des « marques alibi » qui apportent une aide financière aux festivals, en échange d’une visibilité indirecte pour la marque d’alcool associée.

Pensez-vous que l’Etat soit permissif par rapport à la publicité de l’alcool ?

Oui, je pense que l’Etat est permissif, pour ne pas dire complice de l’industrie de l’alcool, à qui il offre la possibilité d’atteindre, de manière quasi-illimitée, le marché de la jeunesse.

Pourquoi ne pas appliquer strictement la Loi Evin ? 

Si les marques d’alcool n’appliquent pas strictement la loi Evin, c’est probablement parce qu’elles ont conscience que cette loi est efficace pour protéger la jeunesse. Les jeunes, et notamment les adolescents, sont en effet très sensibles aux stimuli publicitaires et aux effets de mode. Contourner la loi permet donc aux alcooliers de faire découvrir leurs produits aux ados et ce faisant, de préparer les consommateurs réguliers de demain. Cette logique marchande est facile à comprendre. Le manque d’intérêt de l’Etat pour la loi Evin et l’absence de dispositif public dédié à son application sont plus surprenants. Sans compter les coups de rabots législatifs apportées par les gouvernements successifs. La réponse au pourquoi de ce laxisme de l’Etat mériterait de faire l’objet d’un grand débat. Je pense qu’il y a plusieurs facteurs explicatifs, qui vont de l’indifférence de certains dirigeants pour la question de l’alcool (considérée comme anecdotique) à la crainte de perdre des voix d’électeurs (en abordant un sujet sensible), en passant par l’idéologie ultralibérale (qui appliquée à l’alcool empêche d’envisager tout interventionnisme de la part de l’Etat) ou tout simplement la non-connaissance des tenants et aboutissants du dossier. Rappelons aussi qu’il existe au Parlement de sérieux conflits d’intérêts, lorsqu’un député ou un sénateur est viticulteur, par exemple. En 2016, la Cour des comptes avait dénoncé la présence de lobbyistes de l’alcool dans les instances de la République, mais rien n’a changé depuis. Et pour la petite histoire, n’oublions pas que l’Etat français, en 2021, est toujours actionnaire du groupe… Pernod Ricard !