Loi Evin : une victoire ! Par Bernard Basset (ANPAA)

L'été 2019 restera marqué par un affrontement-éclair entre le lobby alcoolier et les acteurs de santé, mais surtout par la victoire inédite de ces derniers dans la défense de l'emblématique loi Evin.

Alcool

Il s’agit d’un événement déterminant, car depuis 25 ans, le lobby alcoolier et se relais parlementaires se sont employés avec constance et avec succès à réduire la portée de cette la loi Evin, emblématique pour la protection de la santé, en premier lieu la santé des jeunes, face à deux facteurs majeurs de mortalité et de morbidité évitables, le tabac et l’alcool. Cette loi a le défaut pour les alcooliers d’encadrer le marché de l’alcool, et donc les profits qui en découlent.

Une proposition pour alcooliser tous les stades

Un des piliers de la loi est d’interdire le sponsoring des événement sportifs et culturels pour ne pas lier auprès des jeunes des activités favorables à la santé et à l’éveil culturel avec la consommation d’alcool. C’est pourquoi, à l’origine la consommation d’alcool était totalement interdite dans les tous les stades, mais en 1999, par ce qu’on a appelé « l’amendement buvette », les petits clubs ont obtenu, contre l’avis des acteurs de santé la possibilité de vendre de l’alcool à titre dérogatoire 10 fois par an. Les promoteurs de cette mesure juraient alors la main sur le cœur qu’il ne s’agissait que de soutenir les petits clubs aux finances précaires et qu’il était hors de question de la généraliser. Pourtant, au plus fort de l’été, une centaine de députés de la majorité La République En Marche (LREM), soit le tiers du groupe parlementaire), ont présenté en toute discrétion une proposition de loi pour soutenir le sport, et qui comportait une mesure généralisant la vente d’alcool dans toutes les enceintes sportives. L’argumentaire était proprement ahurissant puisqu’il s’agissait selon eux, de justice sociale, car les spectateurs ordinaires n’avaient pas le droit de consommer de l’alcool, contrairement aux privilégiés des tribunes VIP. Cette argumentation était d’autant plus spécieuse que les VIP ne disposent pas d’un tel « droit », la ministre des sports dans une réponse à un parlementaire[1] qualifiait cette situation de « procédé » traduisant ainsi son embarras à appeler par son nom un passe-droit, ou un contournement de la loi.

Une bataille-éclair

Cette proposition parlementaire a entraîné une réaction immédiate de l’ANPAA qui avait anticipé cette offensive[2] et alerté à plusieurs reprises sur la forte probabilité que le lobby alcoolier essaierait d’attaquer la loi Evin pour obtenir la fin de l’interdiction du sponsoring sportif dans la perspective de la Coupe du monde de Rugby en 2023 et des Jeux Olympiques en 2024 qui auront lieu en France. L’ANPAA a dénoncé sur Twitter (son vice-président Bernard Basset a joué les lanceurs d’alerte) et par communiqué de presse à la fois la promotion de la consommation d’alcool par les jeunes dans les stades, mais aussi une première étape pour en finir définitivement avec cette loi Evin honnie des alcooliers. Contre toute attente, cette prise de position a immédiatement enflammé le débat dans le calme de l’été, et le relais a été pris très rapidement par le Pr Amine Benyamina, président de la Fédération Française d’Addictologie (FFA), qui a demandé dans une lettre ouverte à la ministre de la santé de prendre position « publiquement et fermement » contre cette proposition alcoolière. L’ANPAA et la FFA ont reçu le soutien décisif du nouveau président de la Ligue contre le cancer, le Pr Axel Khan, personnalité connue et respectée.

Le débat médiatique prenant rapidement une ampleur inattendue, la ministre de la santé, puis la ministre des sports ont assuré que la proposition des alcooliers ne verrait pas le jour. Cependant cette prise de position officielle, sur Twitter, conservait un caractère un peu informel qui ne rassurait pas totalement, c’est pourquoi, dans une tribune publiée dans le Figaro du 2 Septembre[3], Amine Benyamina, Bernard Basset et Axel Khan se félicitaient à la loi de cette bataille gagnée, mais aussi du possible retour en force des alcooliers, les enjeux en termes de profits étant considérables. Cette tribune a été suivie immédiatement d’un courrier du Premier Ministre au président de la FFA, et d’un mail à Bernard Basset d’Olivier Véran, rapporteur de la commission des affaires sociales, les deux assurant que la loi Evin ne serait pas modifiée. La victoire provisoire devenait définitive.

Les explications du recul des alcooliers

Plusieurs éléments ont joué dans cette issue favorable aux acteurs de santé :

  1. l’anticipation de l’ANPAA qui lui a permis de s’apercevoir de la manœuvre dès son origine ;
  2. la réactivité des acteurs de santé et leur capacité à interagir avec les médias ;
  3. la mobilisation de la Ligue contre le cancer, qui au-delà de la personnalité de son président, liait spectaculairement la consommation d’alcool avec le cancer, ce que les alcooliers veulent éviter à tout prix.

La méthode a également pu choquer (présentation en catimini, absence de concertation avec les acteurs de santé, arguments incohérents). Mais on peut aussi prendre en compte des facteurs importants : la pédagogie inlassable d’acteurs de santé qui ont multiplié les tribunes et prises de position pour informer des conséquences dramatiques de la consommation d’alcool dans notre pays, qui a transformé chez beaucoup l’image des boissons alcooliques, qui ne sont plus uniquement des produits plaisir, mais des produits à risques. Les alcooliers n’ont pas encore compris que la population se préoccupait davantage de sa santé et des risques qui la menace.  Par ailleurs la résistance des milieux viticoles à se confronter avec l’utilisation à outrance des pesticides est en rupture avec l’air du temps. Le septennat avait commencé avec une écoute très favorable du gouvernement envers les alcooliers comme en témoigne la faiblesse des mesures concrètes sur ce sujet dans le plan de la MILDECA. Mais le climat général évolue progressivement sous l’effet de la contestation sociale et d’une suspicion souvent légitime envers les lobbies économiques. Le gouvernement en a tenu compte en donnant pour la première fois une victoire aux défenseurs de la santé.

Si le danger d’une remise en cause de la loi Evin semble écarté pendant cette mandature, nul doute que les alcooliers reviendront à la charge par d’autres moyens. Le lobby du vin demande un Grenelle de la viticulture, ce qui présenterait de nouveaux défis pour les acteurs de santé. Mais ils ont démontré, lors de l’été 2019, qu’ils étaient déterminés à faire de la prévention du risque alcool un objectif majeur. Au-delà de cet épisode, il est désormais clair que les dommages de la consommation d’alcool sont tels qu’ils mériteraient de faire l’objet d’une Grande cause nationale qui servirait de support à une politique efficace et concertée.

Pour en savoir plus, voir le dernier décryptage de l’ANPAA : Décryptages n°38 : « Alcooliser le sport « 

Bernard BASSET

Médecin de santé publique

Vice-Président de l’ANPAA

[1]  JO du Sénat du 7 juin 2018-Page 2865, réponse à la question écrit en°04199 du sénateur Michel Savin
[2] ANPAA, Décryptages n° 15 : « Sport et alcool. Les liaisons dangereuses », juin 2016
[3] Alcool dans les stades : un premier coup d’arrêt au lobby alcoolier ?