Médicaments par voie orale contenant de l’alcool : faut-il être vigilant ?

Alcool

Un patient (antécédent de trouble d’usage d’alcool (TUA) actuellement dans un trouble d’usage de benzodiazépines et apparentés important) a, en plus dans son traitement, de l’amitriptyline de prescrit en goutte. Trouvant, personnellement, plus simple de prendre des comprimés (25 et 50 mg) que compter les gouttes, je lui suggère les comprimés. Le patient avance comme argument son appétence pour l’alcool présent dans les gouttes et refuse les comprimés.

Un rapide coup d’œil aux résumés caractéristiques du produit permet d’apporter la notion : « Ce médicament apporte 188 mg d’alcool (éthanol) pour … 75 mg d’amitriptyline… La quantité en éthanol équivaut à moins de 4,7 ml de bière ou 1,9 ml de vin.

La faible quantité d’alcool contenue dans ce médicament n’est pas susceptible d’entrainer d’effet notable. »

Ouf, nous voilà rassurer avec ces 0,02 unités d’alcool médicamenteux par jour prescrites.

Mais qu’en est-il des médicaments contenant de l’alcool comme excipients ? Sont-ils tous à des quantités si faibles ?

C’est là que je découvre l’étude lilloise résumée ci-dessous. Comme elle est en français, je ne préciserai que les éléments importants.

Introduction : L’alcool/éthanol est fréquemment utilisé dans l’industrie pharmaceutique comme solvant et/ou conservateur dans toutes les formes galéniques. Si on en retrouve à l’état de traces dans les comprimés, c’est nettement plus dans certains topiques et formes liquides (orales ou injectables).

Quoi qu’il en soit, il est considéré comme excipient à effet notoire selon une certaine quantité par unité de prise.

Les auteurs nous rappellent que l’exposition à une faible quantité d’éthanol sans seuil défini chez des sujets ayant un antécédent de TUA peut majorer les « craving » et que les notices des médicaments contenant plus de 100 mg d’éthanol/dose doivent mentionner un risque pour les sujets alcooliques.

Méthode : Les auteurs ont extrait d’une base de données tous les médicaments par voie orale commercialisés en janvier 2021 qui contenaient au moins 100 mg d’alcool/unité de prise.

Trois catégories ont été définies :

  • entre 0,1g et 13g, puisque des études montrent un impact sur la mortalité dès 13g/jour,
  • entre 13 et 20g, 20g étant le seuil de consommation quotidienne défini en France comme repère de consommation à risque lorsqu’il est dépassé
  • Supérieur à 20 g.

Résultat : 1,2 % des médicaments par voie orale ont plus de 100 mg d’éthanol par unité de prise.

Parmi les médicaments contenant de l’alcool (106 spécialités), 54 % ont une quantité inférieure à 1g.

1,9 % supérieur à 13g mais heureusement, aucun supérieur à 20g.

93,8 % des spécialités concernées sont des solutions buvables et 42 % des spécialités de phytothérapie.

Le record est à 19,2 g sur une spécialité antitussive contenant du Grindélia et de l’éthylmorphine, disponible uniquement sur prescription, mais renouvelable par le patient dans l’année car sur liste 2.

52,9 % des spécialités sont disponibles sans prescription.

 En conclusion, l’apport d’alcool par les médicaments par voie orale est assez minime, sauf les spécialités à base de phytothérapie dont l’extraction nécessite ce solvant et deux spécialités qui contiennent plus de 1,3 unité d’alcool par prise.

Même 100 mg par prise peut être problématique pour des patients ayant ou ayant eu un TUA, ce qui est le cas du patient préférant la forme goutte d’amitriptyline.

En addictologie, il faut également être prudent avec les gouttes de diazépam par exemple qui contiennent 0,6 g d’éthanol pour 20 mg de diazépam et préférer si c’est possible, les formes comprimées surtout quand il existe des dosages multiples (2, 5 et 10 mg), ce qui n’est pas le cas pour de nombreuses autres spécialités ou la décroissance ne peut se faire qu’avec des gouttes qui peuvent contenir de l’alcool.

Les auteurs rappellent aussi de faire attention aux personnes fragiles comme les enfants, les femmes enceintes.

Pour les spécialités sans prescription, ou celles renouvelables (liste 2) dans l’année, le pharmacien doit également être vigilant lors de ses dispensations.

Perspective, retravailler cette question avec le patient lors de sa prochaine visite.

Par Mathieu Chappuy