Partir à la retraite et devenir alcoolique

Un tiers des seniors qui souffrent de problèmes d’alcool les ont développés après 65 ans. En cause, dans beaucoup de cas, le vide laissé par la fin de l’activité professionnelle. Un phénomène qui passe encore trop souvent sous le radar

Alcool

En 2004, Rosalie a sombré. La Vaudoise a alors 63 ans et l’heure de la retraite a sonné. Employée de manutention dans une entreprise de médicaments, elle est d’abord soulagée. Son travail est très physique, la fatigue s’est accumulée. D’un autre côté, la perspective de se retrouver à la maison, face aux difficultés de son couple, l’angoisse. «A partir de là, j’ai vraiment exagéré. L’alcool avait toujours été un sujet dans ma vie: j’avais par période une consommation régulière pour calmer mon mal-être quand ça n’allait pas. Puis je pouvais arrêter complètement pendant six mois. Mais après la retraite, j’ai commencé à boire tous les jours. Trop. Je démarrais en fin d’après-midi: des apéritifs, de la bière, du rosé… Assez rapidement, j’ai remarqué que mes mains tremblaient le matin. Je me suis dit: ça y est, je suis foutue.»

Les addictions des seniors, au premier rang desquelles figurent l’alcool et les médicaments, n’occupent que peu de place dans les débats de santé publique. Pourtant Rosalie, qui a repris pied grâce à un séjour d’un mois à la clinique psychiatrique de la Métairie, doublé d’un suivi au long cours et du soutien de la Croix-Bleue, est loin d’être un cas isolé. Selon la dernière «Enquête suisse sur la santé», menée en 2017 par l’Office fédéral de la statistique, l’alcoolisme concerne 8% des hommes et 3% des femmes de plus de 65 ans au niveau national. Et un tiers des personnes âgées dépendantes à l’alcool le sont devenues après 65 ans. Une autre étude, réalisée par le CHUV en 2014 sur un échantillon de 1500 personnes de 65 à 70 ans vivant à Lausanne, offre un regard plus précis sur la situation en Suisse romande. Selon ces travaux, 13% des individus interrogés ne boivent pas d’alcool, 58% sont des buveurs légers à modérés et 29% ont une consommation excessive (19% «à risque» et 10% de «gros buveurs»).

Le verre de vin à table, une habitude bien ancrée

Dans les milieux médicaux et de la prévention, le développement de problèmes d’alcool après 65 ans est qualifié de late onset, littéralement «apparition tardive». Comment les spécialistes expliquent-ils le phénomène? «Il est très rare de voir des patients qui commencent à boire à cet âge», indique le professeur Daniele Zullino, chef du service d’addictologie des HUG. Il s’agit de personnes qui avaient pendant longtemps une consommation régulière – le verre de vin à table est une habitude bien ancrée chez cette génération – et qui basculent dans une consommation problématique dans les années qui suivent la retraite, lorsqu’ils doivent faire le deuil de leur rôle professionnel et de leur vie sociale liée au travail.