Pêcheurs, soignants, serveurs… les nouvelles victimes de la cocaïne (La Croix)

La « blanche », longtemps réservée à une élite fortunée, touche désormais tous les milieux sociaux. Moins chère, consommée de façon assumée y compris au travail, elle n’a pourtant rien perdu de sa dangerosité. Enquête sur une banalisation aussi alarmante que méconnue.

Autres drogues

Des chiffres aux témoignages, tout l’atteste : la cocaïne, drogue de la jet-set et des milieux huppés, touche désormais Monsieur-tout-le-monde. « La cocaïne est en train de devenir un vrai sujet, y compris au travail, note avec inquiétude une magistrate en poste en Bretagne. Les cadres sup’ne sont pas les seuls concernés, il y a aussi les métiers plus pénibles  : les pêcheurs, les conducteurs, les ouvriers… »

L’Observatoire français des drogues et des toxicomanies (OFDT) lui fait écho en relevant, dans son dernier rapport, un quadruplement de la consommation en vingt ans. 5,6 % des Français ont pris au moins une fois de la cocaïne dans leur vie, indique-t-il. La déclinaison par métier chamboule les idées reçues : artisans et commerçants arrivent en tête des consommateurs (7,2 %), les ouvriers devancent les cadres (5,3 % contre 4,9 %). « Autrefois cantonnée aux catégories aisées », elle concerne désormais « l’ensemble des strates de la société », conclut l’Observatoire.

Un constat confirmé en chair et en os par Yann*, rencontré dans un petit port de Bretagne fendu par une grand-rue qui file vers la mer. La cinquantaine canaille, ce marin pêcheur de père en fils va d’un poste à l’autre à bord, où il fume volontiers du cannabis quand il ne « tape » pas de la cocaïne. « Avec quatre traces de coco, tu vas plus vite que la machine pour étriper et vider les poissons », lâche-t-il, attablé devant une bière, le dos courbé sous un blouson de cuir.

Gestes tremblants à l’appui, Yann poursuit en grommelant dans le désordre les duretés du métier : les aléas de la rémunération « à la part », le chalut qui peut vous arracher une main, le huis clos avec l’équipage… Quand, soudain, il hausse le ton et triomphe : « Ma plus longue journée, c’est 96 heures ! À la fin, tu entends le moteur te chanter des chansons ! »

Puis, sans prévenir, il fait pivoter ses poignets désarticulés, désigne sa hanche douloureuse et baisse la voix : « Avec deux traits le matin, ça va mieux. » Et d’arborer la certification « médical 3 », qui lui permet, en cas de pépin à bord, de faire une piqûre, de recoudre, d’apposer une agrafe… Une responsabilité qu’il envisage à sa façon : « Si un gars prend de la coco à bord, je m’en fous, je lui demande seulement de m’en donner un peu. »

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