
Une étude prétend que consommer du champagne ou encore utiliser son ordinateur réduirait le risque d’arrêt cardiaque soudain. Mais elle présente des biais méthodologiques majeurs ! Ses soi-disant résultats ne doivent donc pas être pris en compte.
Il y a des études scientifiques qui font sourire, d’autres qui interrogent, et certaines qui, bien qu’habillées du vernis de la rigueur, diffusent des conclusions aussi fragiles que les bulles d’un verre de champagne.
C’est le cas d’un article récemment publié dans le Canadian Journal of Cardiology qui conclut, entre autres, que la consommation de champagne et/ou de vin blanc pourrait protéger contre l’arrêt cardiaque soudain.
Ce n’est pas une blague, c’est le résultat d’une étude sérieuse… du moins en apparence.
Un cocktail de données et d’algorithmes
L’étude, conduite par une équipe chinoise, repose sur l’analyse des données de la UK Biobank, une vaste base d’information médicale et comportementale rassemblée auprès de plus de 500 000 volontaires britanniques).
Les chercheurs ont sélectionné 125 « facteurs de risque modifiables » (comme la consommation d’alcool, le temps passé sur l’ordinateur ou les sentiments d’irritabilité) et ont évalué leur lien avec la survenue d’un arrêt cardiaque soudain, sur une période de près de quatorze ans.
Pourquoi 125 ? Pourquoi pas 300 ? Ou 28 859, qui correspond au nombre initial de variables ? On ne saura jamais. Ce choix arbitraire, filtré par des critères aussi opaques qu’un vin trop vieux, a permis de faire ressortir que les buveurs de champagne ou de vin blanc et les amateurs d’ordinateurs seraient mieux protégés des arrêts cardiaques.
Le tout repose sur une approche dite exposomique, qui vise à explorer sans a priori un grand nombre de facteurs environnementaux et comportementaux.
Pour aller plus loin, les auteurs ont utilisé une méthode sophistiquée – la randomisation mendélienne –, censée permettre d’inférer un lien de causalité entre certains comportements et les arrêts cardiaques.
Le résultat : 56 facteurs seraient associés au risque d’arrêt cardiaque, dont 9 considérés comme causaux. Parmi les facteurs mis en avant comme protecteurs : la consommation de champagne ou de vin blanc, la consommation de fruits secs, ou encore le temps passé sur un ordinateur.
Au passage, six autres facteurs sont présentés comme ayant un lien délétère : le sentiment de ras-le-bol, la quantité et le taux élevés de masse grasse mesurés au bras, l’indice de masse corporelle (IMC), la pression artérielle systolique et un niveau d’éducation inférieur.
Quand la génétique s’égare
La randomisation mendélienne est une méthode puissante, souvent présentée comme un « essai clinique naturel » fondé sur la génétique. L’idée est la suivante : certaines variantes génétiques influencent nos comportements ou traits biologiques (comme l’indice de masse corporelle) et, en les étudiant, on peut tenter d’estimer l’effet causal de ces comportements sur la santé, sans les biais habituels des études observationnelles.
Mais cette méthode repose sur trois hypothèses très fortes, qui doivent être absolument vérifiées pour pouvoir conclure :
- Les gènes choisis doivent être fortement liés au comportement étudié (ex. : boire du champagne).
- Ils ne doivent pas être associés à d’autres facteurs (pas de « confusion »). Or, il est peu probable que les buveurs de champagne aient exactement les mêmes conditions de vie que les autres.
- Ils doivent influencer l’arrêt cardiaque seulement via la consommation de champagne, et non par d’autres biais sociétaux ou comportementaux (pléiotropie horizontale).
Une étude récente réalisée par la Société française d’alcoologie a, par exemple, montré que la consommation d’alcool a un lien causal démontré par la randomisation mendélienne sur de nombreuses pathologies : les cancers de la cavité buccale, de l’oropharynx, de l’œsophage, le cancer colorectal, le carcinome hépatocellulaire et le mélanome cutané, ainsi que sur les maladies cardiovasculaires telles que l’hypertension, la fibrillation atriale (un trouble du rythme cardiaque qui accélère le cœur et le fait battre de manière irrégulière), l’infarctus du myocarde et les maladies vasculaires.
Dans l’étude publiée dans le Canadian Journal of Cardiology, plusieurs de ces hypothèses sont probablement faussées. Par exemple, les gènes supposés influencer la consommation de champagne ou de vin blanc pourraient tout aussi bien refléter un statut socio-économique élevé ou des préférences culturelles qui, eux-mêmes, sont liés au risque de maladies cardiovasculaires. C’est ce qu’on appelle la pléiotropie, un biais bien connu en génétique, (également évoqué plus haut dans l’article, ndlr).
L’étude repose en grande partie sur des données autodéclarées (consommation d’alcool, sentiments de ras-le-bol, usage de l’ordinateur), ce qui apporte un niveau de subjectivité supplémentaire. À cela s’ajoute une absence totale de prise en compte des changements dans le temps : boire du champagne à 55 ans n’implique pas qu’on en boira encore à 68, l’âge moyen des arrêts cardiaques dans cette cohorte.
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