Si les préventions en addictologie ou en gérontologie se sont développées indépendamment l’une de l’autre, le croisement des deux ouvre un espace peu exploré, voire inconnu.
L’alcool, particulièrement en France, est une substance banalisée, socialisée et intégrée au quotidien de chacun, surtout lorsqu’on est âgé (et supposé de ce fait s’approcher de sa fin de vie), comme un dernier plaisir de l’existence concédé avant que de mourir. « Le vin est le lait des vieillards » attribue-t-on à Platon (Menecier, 2019).
La prévention-alcool a-t-elle (toujours) une place avec des personnes âgées ? Comment peut-on envisager de ne pas exclure les aînés des approches de prévention en addictologie ou exclure les consommations de substances de la prévention gérontologique sans tomber dans la double peine que d’être vieux et malade (Trivalle, 2010) ?
Aux confins de deux spécialités
La gérontologie a, depuis ses débuts, intégré des dimensions sociales et de prévention dans les soins aux personnes âgées. Particularité d’une discipline émergente depuis quelques décennies (comme l’addictologie), elle tente aussi de dépasser les représentations négatives des patients (étiquettes), pour éviter toute discrimination négative… Elle n’a cependant que peu abordé les questions d’usages et mésusages de substances psychoactives, si ce n’est à propos de iatrogénie médicamenteuse (ensemble des effets indésirables provoqués par la prise d’un ou plusieurs médicaments).
Alors que le mésusage d’alcool s’accroit plus rapidement chez les aînés que dans aucune autre tranche d’âge (El Hayek, 2022), l’alcoologie (et l’addictologie) a considéré certaines priorités de santé publique à propos de publics jeunes, justiciables, désocialisés, femmes enceintes (Paille, 2014), mais jamais les aînés en France. Le Québec l’avait débuté il y a quelques années avec la gérontoxicomanie (Vermette, 2001), ou plus récemment l’OICS (Menecier, 2021), mais sans parler d’alcool. Pourquoi apparaitrait-il une limite d’âge au développement de l’addictologie ?
Les freins et obstacles à parler d’alcool avec des sujets âgés
Des difficultés à parler d’alcool avec ou à propos de personnes âgées ont été identifiées, en lien avec de multiples freins idéologiques ou obstacles matériels à cet abord. Mais il n’est jamais trop tard pour cela, ni dans l’avancée en âge ni le cumul de comorbidités éventuelles (Menecier, 2019).
Ce qui a été considéré autour de troubles de l’usage d’alcool (TUAL) à propos de l’offre et de la conduite de soins apparait peu autour de la prévention de l’usage à risque d’alcool. Ainsi les personnes âgées ont récemment pu être opportunément qualifiées de « grands oubliés des politiques de prévention » des consommations d’alcool à risque (Parry, 2022).
Prévention des TUAL
La survenue ou réactivation de TUAL chez des aînés a été associée à des marqueurs ou facteurs de risque, essentiellement psychosociaux (comme être un homme, vivre seul, isolé, malade, sans religiosité ou spiritualité, avoir des douleurs chroniques, des incapacités motrices…), qui deviennent inversement de possibles facteurs de protection ou indicateurs orientant un repérage précoce ciblé (El Hayek, 2022). Cette approche a plus particulièrement été envisagée à propos de TUAL à débuts tardifs, supposés être plus réactionnels et moins fixés.
Cependant, les controverses autour de la prévention de maladies cardiovasculaires (french paradox) ou neurocognitives par des consommations d’alcool brouillent et complexifient les discours de prévention en alcoologie pour des aînés (Paille, 2014). Ne pas trop favoriser les consommations d’alcool à tous les âges, pour de quelconques raisons (essentiellement illusoires) de prévention en santé participe à la prévention de TUAL dans la vieillesse (Menecier, 2016).
Prévention de l’usage à risque
Bien que l’alcool soit un facteur de risque évitable de dégradation de l’état de santé et des capacités fonctionnelles de sujets âgés (avec en conséquence altération de leur qualité de vie), les seuils de consommations à risque émis par Santé publique France n’intègrent pas de spécificités d’âge (Parry, 2022).
S’il existe des adaptations de ces seuils à risque dès le premier verre quotidien par l’American Geriatric Society ou en France par les recommandations conjointes de la SFA et SFGG (Paille, 2014), ces recommandations sont peu connues, peu diffusées et n’ont jamais fait l’objet de campagne de prévention large (Parry, 2022). Elles restent confidentielles.
Prévention globale ?
À côté du repérage précoce du mésusage d’alcool (usage à risque et TUAL), la formulation d’interventions brèves auprès de personnes âgées apparait régulièrement dans les synthèses et recommandations (Paille, 2014 ; Popp, 2022). Le RPIB à propos d’alcool n’a pas de limite d’âge non plus.
Alors différents auteurs appellent les professionnels à investir ce champ de recherche et de développement d’interventions cliniques, comme les autorités de santé publique appellent à éviter toute forme de discrimination en écartant les aînés de la prévention addictologique ou les sujets mésusant de substances de la prévention gérontologique !
Il ne restera ensuite qu’à décliner ces intentions parfois naissantes, dans les politiques de santé publique, notamment en France.
Références :
El Hayek S, Geagea L, El Bourji H, Kadi T, Talih F. Prevention Strategies of Alcohol and Substance Use Disorders in Older Adults. Clin Geriatr Med. 2022;38(1):169‑79.
Menecier, P., Collovray, C., & Menecier-Ossia, L. Prévenir l’alcoolisme du sujet âgé. Soins Gérontologie 2006, 62, 12‑14.
Menecier P, Soins, alcool et personnes âgées : Se positionner pour coconstruire. Chronique Sociale Ed. Lyon. 2019.
Menecier P. Usage de drogues chez les personnes âgées : une épidémie cachée ! Addict’aide 2021. https://www.addictaide.fr/usage-de-drogues-chez-les-personnes-agees-une-epidemie-cachee
Paille, F., SFA, & SFGG. Personnes âgées et consommation d’alcool : Introduction, usage et mésusage – Question 5. Quelles actions de prévention primaire des risques liés à l’alcool sont adaptées aux personnes âgées ? Alcoologie et Addictologie 2014, 36(3), 262‑268.
Parry, A., Minoc, F., Cabé, N., Vabret, F., Branger, P., Chételat, G., Rauchs, G., & Pitel, A.-L. Consommation d’alcool à risque : Les séniors, grands oubliés des politiques de prévention : Santé Publique 2022, 34(2), 203‑206.
Popp J, Fuchs A, Hemmeter U, Ibach PB, Indermaur E, Klöppel S, Laimbacher S, Latanioti M, Leyhe T, Lötscher C, Savaskan E, Stauch T, Wiesbeck G, Wopfner A, Zullino D, Gunten A. Recommandations pour la prévention, le diagnostic et la thérapie des addictions à l’âge avancé. Rev Med Suisse 2022, 8(797), 1817–1824.
Trivalle C. Vieux et malade : la double peine, L’Harmattan, 2010.
Vermette G, Forget J, Boucher G. La toxicomanie chez les aînés : reconnaître, comprendre et agir, CPLT-FQCRPAT, 2001, https://numerique.banq.qc.ca/patrimoine/details/52327/2008964