L’hyperconnexion, une nouvelle forme d’addiction ?

Bien qu’elle ne soit pas reconnue de façon officielle comme une addiction. Bien que le DSM (Manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux), qui classifie les troubles mentaux, ne pointe à date aucun consensus médical concernant l’hyperconnexion, même si sur le plan clinique dans le cadre de consultations individuelles, les addictologues reçoivent des personnes qui témoignent d’addictions à des réseaux sociaux, des applications mobiles, aux écrans et autres outils digitaux ….

Bien qu’il n’existe aucune prévalence en la matière et que peu de travaux scientifiques officiels portent sur la question (l’hyperconnexion n’est ni un diagnostic, ni une pathologie reconnue actuellement), une chose est toutefois avérée : on retrouve beaucoup de points communs avec l’approche comportementale des addictions (perte de contrôle, impacts négatifs, incapacité à s’en passer…).

Alors que la digitalisation n’est plus une option pour les entreprises, tant pour la performance organisationnelle, managériale, économique, ou même encore pour leur rayonnement et leur développement, l’hyperconnexion s’affiche désormais comme un risque pour la santé psychique, mentale, émotionnelle et physique des collaborateurs.

Quels sont les causes, effets, impacts et solutions potentielles pour un usage du numérique équilibré et une meilleure qualité de vie au travail ?

Addict’AIDE vous propose un focus sur un phénomène qui n’épargne aucune organisation, quels que soient leur taille, leur secteur ou leur culture.

L’hyperconnexion c’est quoi et quelles en sont ses manifestations ?

L’hyperconnexion peut être définie par un trop plein d’informations, de sollicitations, d’interactions en lien avec les connexions numériques. À cela s’ajoute une très grande complexité et une inquiétude réelle à l’idée de se déconnecter.

Elle n’est pour autant pas encore reconnue de nos jours comme une addiction de façon stricto sensu, comme le souligne Julie Caillon, psychologue et docteure en psychologie dans le Service universitaire d’addictologie et de psychiatrie de liaison du CHU de Nantes.

Perte de contrôle, difficulté à s’abstenir, dommages et conséquences négatives qui impactent les différents domaines et investissements de la vie du salarié au travail ou dans sa sphère privée… On retrouve pour l’hyperconnexion des mécanismes communs avec les autres types d’addictions : perte de contrôle, difficultés à s’abstenir, stress, effets négatifs, impacts sur la santé psychique et physique…

Comment se manifeste l’hyperconnexion en entreprise ?

Comme elle se manifeste de façon différente, elle va avoir également des effets professionnels différents en fonction des entreprises souligne Thibaud Dumas, docteur en neurosciences cognitives et associé d’Into The Tribe, une entreprise qui accompagne les organisations à tendre vers plus d’équilibre dans leurs usages numériques.

D’une façon générale au niveau des effets en entreprise de nombreux impacts organisationnels sont observés : perte de temps et d’efficacité en lien avec les sursollicitations d’outils numériques… Selon lui, parce qu’ils sont vus comme des solutions à des problèmes, les entreprises multiplient les outils et les différents canaux de communication et d’interaction, avec comme effet non vertueux, des collaborateurs submergés d’informations.

Résultats, des difficultés informationnelles dues à des gros volumes d’informations à traiter et de nombreuses problématiques managériales. Un phénomène qui génère qui plus est beaucoup de stress et de très fortes fatigues qui peuvent devenir chroniques.

« L’hyperconnexion impacte les capacités d’attention. Certaines entreprises nous consultent pour cette problématique : comment retrouver une écoute lors de réunion, car les capacités attentionnelles de leurs collaborateurs ne sont pas encouragées par l’hyperconnexion ».

D’un point de vue neurologique, l’hyperconnexion a des effets sur les capacités attentionnelles. La performance des entreprises peut en pâtir, tout comme la santé émotionnelle et physique des collaborateurs.

Le stress numérique au travail inquiète les professionnels de la santé

C’est un fait, les outils numériques occupent une place de plus en plus importante et stratégique au travail. S’ils sont incontestablement des facilitateurs organisationnels, ils peuvent également amplifier le phénomène de l’hyperconnexion.

Le risque d’un « stress numérique » inquiète de plus en plus de professionnels de santé. William Dab, épidémiologiste et ex-directeur général de la santé, a déclaré lors de Preventica Paris 2023, salon dédié à la santé, la qualité de vie et la sécurité au travail, « Se pourrait-il que ces outils, ou plus exactement les usages de ces outils, soient en train de se retourner contre nous ? ». La question est ouverte et beaucoup s’interrogent sur les effets négatifs de l’hyperconnexion en entreprise.

Le télétravail, un facteur additionnel de l’hyperconnexion ?

« Oui clairement » précise Julie Caillon ! Elle souligne que le télétravail a amplifié le délitement des règles et du cadre de l’entreprise, du collectif. Un cadre au travail protecteur permettant normalement de créer une frontière claire entre le travail et le hors travail.

Pendant et après le Covid, avec l’émergence massive du télétravail, le sentiment d’isolement s’est accru. Cette perturbation entre sphère privée et professionnelle a mis en exergue l’importance des rapports informels au travail hors réunions, du soutien social, de la vertu des échanges lors des temps de pause.

Le phénomène de l’hyperconnexion s’intensifie avec des frontières plus floues, une pression perçue du collectif à distance très importante. Entraînant notamment le risque que la pause qui était de mise à la machine à café, dans un espace dédié, se transforme en un temps de pause passé sur les réseaux sociaux, sur les canaux tels Whatsapp et autres écrans, avec une hyperconnexion permanente.

Adrien Debré avocat d’affaires témoignait d’ailleurs récemment à l’AFP :

« Ce que je trouve compliqué depuis relativement récemment, post-Covid et confinements, c’est la multiplication des canaux, qui fait qu’on ne sait plus d’où ça vient, entre les mails, messages par Teams, WhatsApp, Zoom, les SMS. Cela rend la gestion des flux pénible. Des poupées russes qu’il serait nécessaire d’ouvrir ».

Quelques chiffres ?

Même si nous l’avons évoqué, très peu de travaux scientifiques ont été effectués sur l’hyperconnexion et ses impacts, des études mettent en relief des chiffres qui questionnent. Ainsi 8 Français sur 10 sont conscients de ne pas maîtriser leurs usages des écrans sans pour autant être en mesure de les changer (Baromètre MILDECA/Harris Interactive, 2021). Et par ailleurs, 78% des cadres consultent leurs communications professionnelles pendant les vacances et les week-ends (Enquête IFOP 2017, les cadres et l’hyper-connexion, vague 2).

Est-ce dangereux pour la santé psychique et physique des travailleurs ?

Les effets de l’hyperconnexion sont nombreux, nous l’avons vu, car le cerveau n’a pas la capacité de traiter une trop grande quantité d’informations. Il y a donc des risques de surcharges mentales. Dans ces périodes de surcharges on peut observer des atteintes cognitives venant altérer notre capacité de régulation émotionnelle. Générant plus d’erreurs dans le travail, plus de difficultés à parvenir à gérer des tâches simples, augmentant l’anxiété, le stress et le sentiment réel que le travail va déborder de plus en plus dans la sphère privée… Empêchant le cerveau et le corps de récupérer et de se ressourcer suffisamment pour pouvoir de nouveau fournir de l’énergie le lendemain.

Une accumulation de manque de repos qui entraîne à terme un épuisement chronique, un trouble anxieux, de la dépression, un burnout, des problématiques de sommeil, d’endormissement, des difficultés émotionnelles qui peuvent se traduire par plus d’impulsivité, d’agressivité avec les proches avec des retentissements physiques : cardio-vasculaires, douleurs dans le dos, dans les épaules…

Des solutions pour un meilleur équilibre des usages numériques ?

De façon individuelle, quelques bonnes pratiques peuvent aider à limiter l’hyperconnexion

En travaillant sur des aspects plus comportementaux, des solutions faciles à mettre en place et utiles peuvent nous aider à limiter l’hyperconnexion :

  • se créer un espace dédié à la déconnexion,
  • réaliser de vraies pauses déjeuners sans ses outils numériques et professionnels,
  • faire en sorte de ne pas regarder ses mails avant de se coucher,
  • essayer au maximum de séparer le temps de travail et le temps personnel.

Et pour éviter le côté multitâche qui peut mettre à mal et conduire à un épuisement ou à une incapacité à trier toutes les informations reçues, l’idéal serait de couper les notifications pendant les réunions, ou lors de tâches spécifiques.

Ces pratiques peuvent être mises en place de façon individuelle et s’accompagner, selon les troubles occasionnés, par des suivis plus en profondeur avec des psychologues, des addictologues pour gérer les effets négatifs : troubles anxieux, dépression, perte d’estime de soi…

En entreprises des solutions pour favoriser un meilleur équilibre des usages numériques

Selon les entreprises, leurs volontés de transformation et leurs cultures, les solutions les mieux adaptées varient. En France, des organisations proposent des accompagnements pour aider les entreprises à avoir des usages numériques plus équilibrés. Cela passe par différents  moyens, notamment :

  • des ateliers de sensibilisations,
  • des séminaires pour vivre l’expérience de la déconnexion,
  • des formations,
  • des conférences….

D’une façon ou d’une autre, nous sommes tous concernés par le phénomène de l’hyperconnexion. Chaque entreprise, selon sa culture, son métier, son secteur, son organisation interne, son histoire et ses ambitions, constate des manifestations différentes de l’hyperconnexion.

Souvent au travail, des éléments vont favoriser des conduites et des usages problématiques des outils numériques, engendrant souffrance et comportements qui sont de l’ordre de l’addiction mais sans être au point d’être une pathologie diagnostiquée.

Ainsi Into The Tribe accompagne les entreprises dans la modification de leurs usages numériques, avec un point commun dans toutes leurs actions : au lieu de donner des recommandations à suivre, un travail collectif est proposé sous la forme d’ateliers, afin que les salariés soient générateurs des solutions qui seront pertinentes pour eux.

En participant à l’élaboration des solutions, ils auront de plus une bien meilleure adoption de celles-ci ayant le sentiment que cela vient d’eux.

Un article rédigé par Muriel Gutierrez (Amande épicée)

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