Je me souviens d’un cas tellement difficile que même son DRH n’arrivait plus à rentrer en communication avec lui. Paul, que je venais prendre en charge, était dans un état absolument lamentable. Il était déclassé au poste de travail, sous-employé à son poste d’origine. Il souffrait le martyre et ne parlait à personne.

Quand j’ai essayé d’entrer en communication avec lui, il s’est enfermé dans un mutisme total. Il était là, assis en face de moi, fermé comme une huître. Je lui posais des questions sur son métier mais il ne répondait à aucune d’entre elles.

C’est alors que j’ai eu l’idée de lui parler de ses enfants. Rien qu’en entendant le mot « enfant », ses yeux se sont écarquillés.

« Vous avez des enfants ? lui ai-je demandé.

— Oui, a-t-il répondu avec un grand sourire, j’en ai quatre.

— Ils s’appellent comment ? Ils font quoi dans la vie ?

— J’ai d’abord une fille, m’a-t-il dit. Elle s’appelle Magalie. Elle est mariée et a deux petits garçons. J’ai aussi un fils, Pierre. C’est le deuxième. »

Et là, il s’est arrêté. Il a réfléchi quelques secondes, puis :

« Ah non, Pierre c’est pas le deuxième. Avant lui, il y a… »

Il s’est interrompu une seconde fois.

« Avant lui, c’est… »

Il ne savait plus. Il ne retrouvait pas le prénom de son deuxième enfant. Alors il a fondu en larmes : « J’ai vraiment un problème, m’a-t-il dit. Je veux m’en sortir. » Et c’est ainsi qu’on a pu commencer à travailler ensemble.

Son DRH, très humain a été choqué de constater à quelle vitesse Jean s’était désocialisé. J’ai senti instantanément son malaise, voire sa culpabilité. « Vous pensez qu’il y en a d’autres comme lui dans mon entreprise ? » m’a-t-il demandé.

Ne voulant pas trop l’accabler je lui ai répondu : « Probablement »

A ce moment, il se fâche presque et me lâche « Mais Monsieur Buchard vous pouvez tout me dire, je suis prêt à tout entendre »

Et bien lui dis-je : « Vous travaillez dans une très grande entreprise industrielle, vous occupez dans cette usine de la gestion de plus de 850 salariés, vous pensez bien que Paul n’est pas le seul à être en difficulté avec l’alcool. Les pourcentages annoncés dans les entreprises sont entre 5 et 8% de dépendants d’alcool et 16% de consommateurs excessifs.

Donc, comme vous n’avez jamais fait aucune action sur ce sujet, vous pouvez estimer qu’au minimum 20% de vos salariés ont une consommation excessive d’alcool.

Le plus important, pour l’instant, est de mettre en place une politique de prévention sur les risques liés à la consommation d’alcool et de drogues au sein de votre entreprise tout en s’occupant de vos salariés dépendants.

L’objectif de cette formation destinée à l’ensemble du personnel sera de réduire au maximum les consommations excessives d’alcool et de drogues afin d’éviter à d’autres l’enfer de la dépendance.

 

Le plan de prévention proposé permettra à l’entreprise de donner à chacun et à des niveaux différents la même information.

Une connaissance collective des risques liés aux conduites addictives permettra à l’entreprise de gérer ce risque au même titre que tous les autres (santé, sécurité, conditions de travail) tout en améliorant la qualité de vie au poste de travail.

En amont, plusieurs rendez-vous avec la direction sont nécessaires afin de mieux connaître l’entreprise, son histoire, ses acteurs, ce qu’elle produit et comment elle le produit.

Cette étape préalable dite de connaissance et de reconnaissance mutuelle est indispensable pour établir une confiance réciproque qui aidera au bon déroulé de la méthodologie.

La mise en place d’un plan global de prévention ne peut se faire de façon efficace et pérenne sans l’aval du comité de direction, des représentants du personnel et des instances médico-sociales.

Le consensus ainsi établi permettra à l’entreprise de travailler sérieusement sur ce sujet et en coopération étroite avec tous les acteurs.

Le groupe référent ainsi formé sera en mesure d’organiser, renseigner, communiquer, promouvoir des actions de prévention, d’activer et réactiver des réseaux internes/externes et surtout de démultiplier la prévention dans l’entreprise à l’aide de formations destinées aux encadrants et aux autres salariés.

Ce groupe pourra également se former à la relation d’approche (et non d’aide) auprès des salariés souffrant de dépendance afin de les amener à prendre la décision de se soigner.

La mise en place d’indicateurs permanents et pertinents aidera l’entreprise à mesurer l’évolution des comportements et des changements de conduites sur la consommation des produits psychoactifs

Il n’existe pas d’indicateur universel mais des signaux d’amélioration tels que, par exemple : la diminution de l’absentéisme de courte durée, la diminution du taux de fréquence et du taux de gravité des accidents du travail ou le nombre de jours non travaillés

Dans l’entreprise de Paul, l’ensemble de cette politique a été mise en place dans le cadre général de l’amélioration de la qualité de vie en entreprise.

Après une évaluation, tous les acteurs de l’entreprise ont été satisfaits du changement du comportement des salariés vis à vis des produits psychoactifs.

Les résultats ont même été au delà des attentes puisqu’une action conjointe sur les risques psychosociaux et l’ergonomie des postes de travail a également été engagée avec succès grâce à la forte cohésion obtenue dès la naissance de ce projet presque humanitaire.

Pour plus de témoignages vous pouvez consulter le livre de Patrick Buchard  » « Il suffit d’une rencontre« 

Retour