Prix minimum par unité d’alcool et réduction de la mortalité et des hospitalisations après application : l’exemple du Québec

Alcool

L’alcool tue chaque année 3 millions de personnes dans le monde. Il est aussi responsable de 133 millions d’années en bonne santé perdues. Pour pallier à ces dégâts, les pouvoirs publics disposent de plusieurs moyens : agir sur le prix, l’accessibilité et le marketing. Le levier le plus efficace reste le prix. Des études précédentes ont montré qu’augmenter le prix de 10 % permettait de réduire de 4,4 % les ventes et donc de réduire les dommages sur la santé mais également sur l’accidentologie routière et la violence.

Concernant le prix, la technique la plus simple consiste à instaurer un prix de vente minimum par unité d’alcool (au Canada, une unité est égale à 13,5g d’éthanol contre 10 g en France). Ce prix concerne donc l’ensemble des boissons. D’ailleurs de précédentes études ont montré qu’imposer un prix de vente minimum par unités était le plus efficace pour réduire la consommation des personnes alcoolodépendantes qui consomment de grande quantité de boissons parmi les moins onéreuses. Cette taxation (proportionnelle) est de plus la plus compréhensible pour le public et donc la mieux acceptée.

En mai 2018, l’Ecosse a introduit un prix minimum de 50 pence (55 centimes d’euros) pour 8 grammes d’éthanol. 6 mois plus tard, les ventes avaient augmenté de 4 % contre 7 % dans le reste du Royaume-Uni. Ce prix minium a donc limité un peu la consommation (versus comparateur).

Situation au Canada :

L’alcool tue 14 800 personnes par an pour un coût estimé en 2014 (santé, perte de production, justice…) à 14,6 milliards de dollars (9,5 milliards d’€). Devant ce constat, plusieurs états canadiens ont imposé un prix minimum par unité. Au Québec, il n’existe pas de prix minimum par unité. En revanche, en 2009,  un prix minium de vente par contenant (non par unité) et uniquement pour la bière de 1,5 $ soit 1€ a été imposé. En 2018, ce tarif était revalorisé à 1,75 $ pour compenser l’inflation.

Les auteurs ont souhaité connaitre l’impact (mortalité et hospitalisation) de la consommation si un prix minimum par unité était imposé au Québec sur les boissons alcoolisées avec deux niveaux de prix : 1,5$/unité et 1,75$/unité. Pour cela, ils ont eu accès aux bases de données de santé, mais également ceux des productions/ventes d’alcools (vin, spiritueux…) de la Société des alcools du Québec. Concernant la bière, principalement vendu dans les supermarchés, ils se sont basés sur la base Nielsen qui est une société de mesure et d’analyse qui couvre 24 % des points de vente du Québec. La méthodologie complète est détaillée dans l’article et présente les formules appliquées pour obtenir les résultats.

Résultats :

Avec un prix minimum à 1,5$/unité, seuls 2,5 % des références seraient impactées, mais elles représentent 24,1 % du volume total d’alcool vendu.

L’impact concernerait essentiellement les bières/cidres et les spiritueux qui contiennent beaucoup d’unités en regard de leur prix de vente. Ainsi plus des 2/3 des volumes de spiritueux seraient impactés par une hausse des prix.

Le vin est le moins impacté, en effet, une bouteille de vin de 75 cl à 12 ° contient 72 g d’éthanol soit au Canada 5,5 unités (contre 7 en France). Or il y a peu de vin vendu à moins de 5,5*1,5$ = 8,25$ soit 5,3€ la bouteille.

Avec un prix minimum à 1,75$/unité, 5,4 % des références seraient impactées pour 56,3 % du volume total d’alcool vendu.

Les 2/3 du volume de bière et plus de 80 % de celui des spiritueux seraient impactés.

Les auteurs estiment donc la baisse de consommation à 4,35 % si 1,5$/unité ou à 8,59 % si 1,75$/unité.

Sur le plan de la santé, les auteurs estiment une baisse des décès de 5,9 % pour la première option tarifaire et de 11,5 % dans l’option tarifaire la plus chère. Et ce sont les troubles neuropsychiatriques qui seraient les grands gagnants avec une baisse de 12 ou 23 % selon la tarification.

Les femmes tireraient un plus grand avantage que les hommes. Il en est de même pour les jeunes (15-34 ans) versus les plus « anciens ».

Ce prix plancher permet d’économiser également de nombreuses hospitalisations (ex : 1 350 au Québec pour le motif cardiopathie ischémique).

Discussion :

L’impact de ce prix minimum par unité est d’un point de vue de la santé publique important. Il cible en priorité les jeunes qui sont à la recherche du meilleur rapport quantité d’alcool/prix à savoir les bières et les spiritueux. On comprend donc aisément pourquoi cette solution est la plus efficace dans la lutte contre la consommation d’alcool et les nombreux dommages qui y sont associés.

Les auteurs défendent leurs choix des équations pour les calculs et comparent avec d’autres provinces qui ont choisi des tarifs selon le type d’alcool. Choisir une taxation par type d’alcool n’a de sens que pour les politiques qui probablement plient sous le pouvoir des lobbies. En effet, en quoi l’éthanol dans la boisson A serait moins nocif que cette même quantité d’éthanol présente dans la boisson B ?

Quoi qu’il en soit, les expériences montrent que ce système de prix minimum est un levier important pour réduire la consommation d’alcool si celui-ci est régulièrement réévalué pour tenir compte de l’inflation.

Les auteurs suggèrent que ces outils d’évaluation soient standardisés afin qu’ils puissent être utilisés par les chercheurs et in fine par les pouvoirs publics dans leurs prises de décisions.

Et si on extrapolait à la France ?

41 000 décès. Le « coût social » de l’alcool est égal à 120 milliards d’euros selon l’OFDT (sept. 2015).

Une unité française = 0,75 unité canadienne. Si on prend le prix mini de 1,75$/unité canadienne.

Une unité française = 1,3$ soit 0,85€

Si on applique 0,85€/unité prix minimum de vente. Les bières à 8,6° de 50 cl sont en vente à 2€ pour 4 unités. Elles le seraient à 3,4€ soit une hausse de 70 %. La Vodka la moins chère à 12€ les 21 unités seraient en vente au prix mini de 17,85€ soit une hausse de 48 %. On comprend bien que les ventes diminueraient au moins partiellement.

Et si on extrapole fortement (car ce n’est pas la même population, un pouvoir d’achat et un cout social de l’alcool différent…), et que nous avions nous aussi 11 % de décès en moins, c’est potentiellement 4 500 vies sauvées et quasi 13 milliards d’euros d’économisés par an. En voilà une bonne idée pour la santé publique !

Un article de Mathieu Chappuy 

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