Restrictions de ventes d'alcool à emporter : une solution pour diminuer les admissions aux urgences pour intoxications éthyliques aiguës ?

Alcool

En France, 30 % des admissions aux urgences sont liées à un usage problématique de l’alcool (15-20 % en lien direct) (1). Chez les jeunes de moins de 25 ans les intoxications éthyliques aiguës sont de plus en plus fréquentes. Les consommations massives d’alcool sur un minimum de temps (binge drinking) seraient de plus en plus fréquentes (1). La prévention des dommages induits par l’alcool est un enjeu de santé publique.
L’une des pistes d’action est la régulation de la vente d’alcool à emporter notamment en limitant les horaires de vente.
L’objectif de l’étude mené par Wicki et al est d’analyser l’impact d’une limitation des horaires de vente d’alcool à emporter sur les admissions hospitalières pour intoxication éthylique aiguë.

De nombreuses études ont déjà été réalisées avec des résultats globalement en faveur d’une limitation des horaires, que ce soit en Russie, en Allemagne ou encore aux Etats-Unis. Ces mesures ont essentiellement un impact chez les jeunes. Plusieurs raisons peuvent l’expliquer : des moyens financiers plus limités et une sensibilité plus marquée aux variations de prix.

Pour cette population, l’abus a principalement lieu le soir et la nuit. Les jeunes stockent moins facilement l’alcool à la maison. En Suisse, ils sont plus enclins à acheter de l’alcool de manière impulsive dans les stations services ou les épiceries lorsque les supermarchés sont fermés.

Deux restrictions menées dans le canton de Vaud ont permis la réalisation de cette étude.

Restriction 1 (BAN 1) : interdiction de vendre de l’alcool à emporter entre 20h et 6h uniquement à Lausanne du 1er Septembre 2013 au 1er Juillet 2015 le vendredi et le samedi.
Restriction 2 (BAN 2) : à partir du 1er Juillet 2015, interdiction étendue à l’ensemble du canton du lundi au dimanche (21h sur le canton, 20h à Lausanne). Le vin n’est pas concerné.

Les auteurs ont utilisé les statistiques des hôpitaux Suisses de 2010 à 2016.
88 mois ont pu être analysés : les admissions nocturnes dans un premier temps puis l’ensemble des admissions.

Les diagnostics retenus pour l’intoxication éthylique aiguë étaient basés sur la CIM 10 : F10.0/F10.1, T51.0)

La population contrôle comprenait le reste des cantons. Pour minimiser les différences culturelles, les cantons francophones ont été utilisés comme population contrôle dans les analyses secondaires.

Les différents groupes ont été séparés par âge (10-15 ; 16-19 ; 20-24 ; 25-29 ; 30-44 ; 45-59; 60-69 et sup à 70).

Les premières analyses ont utilisé la proportion d’admissions pour intoxication éthylique aiguë pour
1 000 admission par mois.

La proportion d’hospitalisation a diminué après les 2 restrictions à Lausanne (ωBan1 = −0.017, 95% (IC) = −0.025, –0.008 ; ωBan2 = −0.021, 95% IC = −0.030, –0.013) mais seulement après la 2ème restriction dans le reste du canton de Vaud (ωBan2 = −0.008, 95% CI = −0.014, –0.002).
La diminution est  plus marquée chez les 16-19 ans.

Sur l’ensemble des catégories d’âge, les auteurs estiment la diminution du nombre d’admissions, en raison d’une intoxication éthylique aiguë, à 28.8 % soit 92.7 admissions en moins par an.
La réduction la plus importante était sur l’ensemble du canton de Vaud (BAN 2) 29.7 % et plus marquée chez les 16-19 ans 46%.

Cette étude est compatible avec le reste de la littérature et retrouve des effets plus marqués que sur d’autres études : suisse ou allemande, chez les adolescents et les jeunes adultes. (2-3)

Il est intéressant de noter que cette étude n’évalue que l’impact sur les admissions hospitalières. Il est difficile d’évaluer l’impact ambulatoire mais également les répercussions sur les autres formes de consommation d’alcool.

Une restriction des horaires de vente d’alcool à emporter semble donc réduire les consommations nocturnes massives et leurs conséquences (blessures).

Le confinement et ses restrictions semblent également aller dans le même sens puisqu’on remarque une diminution du nombre de passages aux urgences (4). On peut donc extrapoler une diminution (en raison du pourcentage) du nombre d’intoxication éthylique aiguë. Dans l’évaluation Global Survey Drug Covid 19, une diminution du binge drinking est constatée (5).

Le législateur peut-il influer sur les comportements en raison de la santé publique ?

Cela interroge sur la possibilité de trouver un compromis entre politique, économie, comportement et pratique ? (6)

Par Charles Lescut

 

 

1 Brousse G, et al. Alcool et urgences. Presse Med. (2018), https://doi.org/10.1016/j.lpm.2018.06.001

2 Marcus J., Siedler T. Reducing binge drinking? The effect of a ban on late-night off-premise alcohol sales on alcohol-related hospital stays in Germany. J Public Econ 2015; 123: 55–77.

3 Wicki M., Gmel G. Hospital admission rates for alcoholic in-

toxication after policy changes in the canton of Geneva, Switzerland. Drug Alcohol Depend 2011; 118: 209–15.

4. https://www.huffingtonpost.fr/entry/confinement-les-passages-aux-urgences-divises-par-deux-a-paris_fr_5ea00cb8c5b6a486d081a29b

5. Global Drug Survey Covid 19

 

  1. Fitzgerald et Lewsey Commentary on Wicki et al. (2020): Strong effectiveness evidence—but what else do policymakers need?

 

 

 

 

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