Retour d’expérience après un an de légalisation du cannabis « récréatif » au Canada

Cannabis

Préambule :

En France, l’Assemblée Nationale réalise une consultation citoyenne sur le cannabis « récréatif » du 13 janvier au 28 février 2021 (https://questionnaire.assemblee-nationale.fr/688141). L’objectif est de dresser le bilan des politiques publiques menées en matière de prévention et de répression des trafics et usages du cannabis, de proposer un panorama des expériences étrangères de légalisation ou de dépénalisation et de contribuer à une réflexion sur l’éventuelle évolution du cadre réglementaire français relatif à cette substance.

(https://www2.assemblee-nationale.fr/consultations-citoyennes/consultations/cannabis-recreatif)

L’article proposé présente donc un retour d’expérience en termes de part de marché sur ce cannabis « récréatif » au Canada. Pour rappel, le Canada est devenu le deuxième pays au monde (après l’Uruguay) à légaliser le cannabis le 17 octobre 2018.

Introduction :

Légaliser le cannabis a des impacts sur la santé, la justice et le sociétal. L’auteur de cette étude souhaite apporter des éléments de réponse basés sur l’expérience canadienne après 1 an de légalisation.

Ce retour d’expérience est important et complète celle uruguayenne. Pour rappel, l’Uruguay a, en 2014, légalisé le cannabis dans un cadre strict. Ainsi, il est possible de faire pousser ses plans ou d’appartenir à un « Cannabis Club » ou de s’enregistrer pour un accès en pharmacie sans pouvoir combiner ces modes d’accès. De plus, seuls 5 variétés de cannabis issus de deux producteurs avec des taux modérés de THC sont autorisées avec des prix fixés par le gouvernement. Au final, peu d’utilisateurs sont enregistrés dans ce cadre légal. La concurrence avec le marché illégal perdurent. Il s’agit donc d’un modèle en semi-échec.

Le Canada n’a pas souhaité appliqué le même régime. Pour le gouvernement canadien, les objectifs étaient d’avoir des produits de qualité, de protéger sa population en réduisant l’activité criminelle, d’agir sur la santé publique et de profiter des avantages économiques (emplois, taxes…). Pour pouvoir réussir cela, il faut que les consommateurs soient attirés par l’offre légale au détriment de l’offre illégale.

Le gouvernement réglemente tous les producteurs sur le territoire national en leur octroyant une licence après s’être assuré que le producteur respectait les normes. Ces normes garantes de la qualité sont proches de celles imposées dans le cadre pharmaceutique. Lors de cette première année de légalisation, seuls les fleurs et l’huile ingérable étaient autorisés. Les autres formes (concentrés, lotions, produit de vapotage…) le sont devenus qu’à partir d’octobre 2019 en année 2.

Chacune des 10 provinces ont transposé la réglementation nationale en locale. Concernant les lieux de ventes, certaines régions ont créé des « boutiques » gouvernementales, d’autres ont vendu des licences à des sociétés privées et certaines provinces ont fait les deux. L’âge minimum pour se procurer du cannabis est de 18 à 19 ans selon les provinces.

Concernant le prix, ce sont les provinces qui décident. Le curseur entre prix bas qui concurrence l’offre illégale (l’un des objectifs) est à contrebalancer avec un prix plus élevé plus rémunérateur (objectif économique) qui réduit la consommation (objectif de santé publique). Les provinces ont donc commencé à 10$ (6,5€) le gramme sauf le Québec (8$ soit 5,20€).

Une autre variable était la taille des réseaux de vente au détail d’une province à l’autre par rapport à leurs marchés. Lorsque les détaillants appartenaient à des intérêts privés, certaines provinces limitaient les numéros de licence par le biais de loteries ou d’appels à projets, tandis que d’autres ne fixaient aucun maximum. Là où le commerce de détail appartenait à l’État, certaines provinces ont commencé avec très peu de points de vente, tandis que d’autres ont créé des réseaux étendus.

L’engouement du début et les problèmes de jeunesse rencontrés par les producteurs (moisissures, insectes et emballages récalcitrants) ont créé des pénuries lors des premiers mois. L’objectif de cette étude est donc de répondre à 3 questions :

  • Dans quelle mesure ces dispositifs légaux ont-ils réussi à concurrencer l’offre illégale ?
  • Est-ce que les ventes légales ont été entravées par les pénuries ?
  • Quel modèle (parmi les 10) soutient le mieux les ventes sur cette première année ?

Méthode :

Les chiffres sont issus des données gouvernementales du département de la Santé et de celui des statistiques. Un gros travail d’uniformisation des données a été nécessaire.

Le choix du comparateur est également compliqué puisqu’aucun n’est parfait. Le $/habitant est facile à calculer, mais il néglige les différences de prix entre les marchés comme les différences d’utilisations. Le gramme/usager s’affranchit des tarifs variables, mais l’estimation du poids et du nombre d’usagers est sources d’erreurs. Une troisième façon de mesurer les ventes de cannabis est les kilogrammes vendus en pourcentage des kilogrammes consommés. C’est la mesure la plus intéressante mais qui nécessite aussi le plus d’approximations et d’hypothèses.

Cette étude a principalement examiné les parts de marché, en particulier lors de l’analyse des résultats globaux du Canada. Elle a utilisé les dollars par habitant et les grammes par utilisateur comme mesures secondaires, en particulier pour comparer les résultats provinciaux ; cela a fait en sorte que ces dernières comparaisons n’étaient pas trop affectées par les approximations nécessaires pour préparer les données provinciales.

Avant la légalisation, une estimation du besoin avait été réalisée : 926 tonnes de cannabis séchés.

Sur l’utilisation : 68 % fumé, 32 % pour les autres méthodes (ingéré, vaporisé…).

Les données de production sont recensées et disponibles tous les mois. Ainsi entre la quantité produite et celle vendue, il est possible de connaitre celle qui a « disparue ».

Résultats :

  • Moins de 1 % de la production canadienne est exportée. Ils produisent donc essentiellement pour leur marché.
  • En 12 mois, près de 104m3 d’huile a été vendu et 109 tonnes de fleurs séchées.
  • Les ventes en lignes sont minoritaires (< 6%) mais en lien avec la couverture du réseau physique de distribution. Lorsque celui-ci est développé, les ventes en lignes sont même inférieures à 2 %.
  • En un an le nombre de revendeurs (agréés) a été multiplié par 5.
  • Le chiffre d’affaires est estimé à 967 millions de $ (628 millions d’€). 45 millions en octobre 2018 contre 125 millions en septembre 2019 soit 3,34 $/habitant ou 3,5 g/habitant.
  • Une part de marché de l’offre légale de l’ordre de 25 % (de 13 à 70 % selon les provinces, plus les revendeurs sont nombreux, moins le prix est cher, plus la part de marché est importante).
  • Les données montrent qu’il y a bien eu une pénurie le premier semestre malgré les dires des politiciens canadiens…

Perspectives :

Un an après la période retenue pour cette étude, le nombre de boutiques a encore été multiplié par 2. Et il est prévu environ 2000 revendeurs courant 2021 contre 101 en octobre 2018.

Pour concurrencer l’offre illégale, les prix sont désormais inférieure à 5$ (3,25€)/gramme taxes incluses avec une augmentation des parts de marché chaque mois. Est-ce que les prix baisseront encore sur l’année 2 comme ça a été le cas dans l’état de Washington ?

L’analyse en année 2 sera intéressante avec l’arrivée de nouveaux produits légaux qui rentreront également en concurrence avec l’offre illégale et qui seront plus facile d’accès et de qualité constante. Il est donc fort probable que les parts de marché continuent d’augmenter, tout comme les ressources financières pour le Canada.

En conclusion, le modèle canadien, bien que complexe car fédéral semble être une voie à suivre dans sa mise en œuvre. Il permet d’avoir accès à des produits de qualité, pas trop cher qui concurrence le marché noir tout en enrichissant le pays (par ses taxes et ses emplois déclarés). Cependant pour évaluer pleinement le dispositif et confirmer ou non ce modèle de référence, il est nécessaire d’évaluer l’impact sur l’activité criminelle (a-t-elle diminuée ce qui serait une victoire ou s’est-elle juste transformée ?) et sur la santé publique (transfert des consommateurs du marché noir vers le légal ou augmentation importante de primo-consommateurs avec les impacts négatifs de la consommation de cannabis ?).

En France, malgré le côté illégal et répressif, nous sommes les champions de la consommation de cannabis avec un marché estimé à plus de 3 milliards d’euros (hors taxes). Ce qui montre que notre modèle n’est plus adapté. Mais la consultation citoyenne lancée par l’Assemblée Nationale montre que les choses bougent. Les expériences canadienne et uruguayenne dans leurs globalités devraient nous aider à prendre les meilleures mesures si l’état s’oriente vers la légalisation.

Par Mathieu Chappuy