Comment être alcoolisé sans boire d’alcool ni s’en introduire dans l’organisme par d’autres voies, quelles qu’elles soient, transmuqueuses ou parentérales[1] ?
L’auto-production d’éthanol par fermentation de glucides du bol alimentaire dans le tube digestif par divers microorganismes peut y parvenir. Habituellement minime, elle existerait chez la plupart des êtres vivants dotés d’un tube digestif, à un niveau le plus souvent indétectable lors de mesures d’alcoolémie et sans conséquences cliniques d’effets neurotropes immédiats de l’éthanol.
Le syndrome d’auto-brasserie
Dans quelques cas rares, cette autoproduction intestinale d’alcool s’emballe, devient massive et symptomatique sous forme d’intoxication éthylique aiguë (IEA). Ces cas exceptionnels sont regroupés sous la dénomination de syndromes d’auto-brasserie (auto-bewery syndrom) ou syndromes d’auto-fermentation intestinale.
Il s’agit plus d’une curiosité médicale que d’une réelle entité à rechercher, tout au moins dans l’état actuel des connaissances. Une récente revue de littérature permet de refaire le point sur cette question (Martin & Alvarez, 2020). Cette description, malgré tout très rare, n’a a priori jamais été rapportée en France, sans que l’on puisse en préciser la raison…
Une production endogène d’éthanol peut conduire dans certaines circonstances spécifiques, à des quantités importantes d’alcool dans le tube digestif induisant des alcoolémies jusqu’à plus de 4 g/l, associées à toutes les conséquences de l’IEA (notamment médicolégales, autour de la conduite automobile), mais aussi aux conséquences d’alcoolisations qui se répètent (alcoolopathies, développement de dépendance à l’alcool, mais aussi sevrages lors de l’arrêt du processus).
En cas d’ingestion d’aliments riches en glucides, chez des sujets ayant dans l’intestin une présence de levures (candida ou saccharomyces cerevisiae parmi d’autres) ou de certaines bactéries (Klebsiella pneumonia ou Enterococcus fæcium) (Malik, 2020), souvent de manière associée à une pathologie intestinale plus ou moins chronique (maladie chronique, suites de chirurgie digestive ou après antibiothérapie générale), une fermentation en anaérobiose peut aboutir à une autoproduction massive d’alcool.
Des cas de syndrome d’auto-brasserie (intestinale) ont même été rapportés chez l’enfant (Martin & Alvarez, 2020).
Des tests diagnostiques après ingestion provoquée par de fortes quantités de glucose ont été proposés avec ensuite des mesures séquentielles de la présence d’éthanol dans le sang ou l’air expiré (Malik, 2019).
Cette occurrence rare ne concerne pas tous les surconsommateurs de sucres au sens large (notamment de sodas), même si une hypothèse partielle a aussi pu l’envisager comme une piste étiologique à certaines maladies non alcooliques du foie (NAFLD – non alcoholic fatty liver disease) lors de déséquilibres métaboliques et nutritionnels (obésité, dyslipidémies) induisant des hépatopathies type NASH (non-alcoholic steatohepatitis …)
Le traitement de ces situations pathologiques passe par un rééquilibrage de la flore digestive par des probiotiques (voire des antibiotiques), avec parfois la nécessité de recours à des traitements antifongiques, après identification du germe responsable. Dans la gestion diététique, des réorientations des rations alimentaires avec plus d’apports protéiques et moins d’apports d’hydrates de carbone ont pu aussi être proposées (Malik, 2020).
Cas particulier : auto-brasserie urinaire
Il existe par ailleurs des formes localisées, partielles, quand le même processus a été décrit chez des diabétiques au seul niveau de la vessie, avec éthanolurie importante, mais sans les conséquences générales précédentes (auto-brasserie urinaire ou fermentation vésicale secondaires à des cystites à Candida glabrata notamment) (Martin & Alvarez, 2020).
Comble de l’alcoolique, s’enivrer sans boire d’alcool, et sans ironie peut sembler une provocation hygiéniste. C’est surtout une circonstance anecdotique, qui souligne qu’habituellement l’origine de l’alcool dans le corps humain est exogène (comme dans la plupart des intoxications par des xénobiotiques). Cette appellation, renvoyant à une appellation incertaine d’exogènose pour dénommer par une périphrase évitante, les troubles de l’usage d’alcool qui ne sont pas non plus mieux désignables comme œnolisme ou même éthylisme laissant à Magnus Huss (et quelques générations suivantes) le terme d’alcoolisme, que le changement de millénaire et de version du DSM ont fait reculer (Menecier, 2020).
Par Pascal MENECIER, médecin addictologue, docteur en Psychologie
Centre Hospitalier de Mâcon & Université Lumière Lyon 2, laboratoire Diphe
Références
Malik F, Wickremesinghe P, Saverimuttu J. Case report and literature review of auto-brewery syndrome: probably an underdiagnosed medical condition. BMJ Open Gastroenterol. 2019;6(1): e000325. https://www.ncbi.nlm.nih.gov/pmc/articles/PMC6688673/pdf/bmjgast-2019-000325.pdf
Martin, M., & Alvarez, J.-C. (2020). Ethanolémie positive sans consommation d’alcool chez le sujet vivant : Le syndrome d’auto-brasserie. Conséquences cliniques et médico-judiciaires. Toxicologie Analytique et Clinique 32, 194-199. https://doi.org/10.1016/j.toxac.2020.03.004
Menecier P, Fernandez L, Galiano AR, Sagne A, Lefranc D, Ploton L. Altération des choix de vocabulaire soignants dans l’abord de l’usage ou mésusage d’alcool de sujets âgés. Drogue Santé Société 2020 ; 18(1) : 100-119.
Painter K, Cordell BJ, Sticco KL, Auto-brewery Syndrome (Gut Fermentation). Treasure Island (FL): StatPearls Publishing; 2020 : https://www.ncbi.nlm.nih.gov/books/NBK513346/
[1] Cf : Intoxication Ethylique Aigüe sans boire d’alcool. Addict’aide. https://www.addictaide.fr/intoxication-ethylique-aigue-sans-boire-dalcool/.