Treize années à te regarder mourir, un récit de Benjamin Daugeron

Editions du Commun, février 2025

Alcool
Treize années à te regarder mourir un récit de Benjamin Daugeron

Pas besoin de s’apitoyer plus longtemps, visiblement, du côté de Benjamin. Son père est mort de l’alcool. Voilà tout ! Et ça ne surprend personne. Tout semblait avoir été écrit depuis bien longtemps, au moins les deux dernières générations tombées comme des mouches des suites d’une consommation chronique et intensive d’alcool…

Ce récit de quelques dizaines de pages à la deuxième personne est une adresse directe d’un fils à un père qu’il appelle par son prénom, André, décédé prématurément suite à un alcoolisme sévère.

Benjamin se met à distance pour retracer le fil d’une histoire dont on connaît à l’avance la fin tant elle semble inéluctable. On suit le parcours d’un homme qui pourtant, au début de sa trentaine, pouvait se prévaloir d’un bonheur sentimental, familial et professionnel sans accroc ou presque.

Mais il suffit parfois d’un événement traumatique, en l’occurrence l’annonce d’un diagnostic cancer du plus jeune fils, encore tout petit, pour que le trentenaire boive un peu plus que d’habitude avant que ça devienne justement une habitude de boire, puis une nécessité, sans qu’on l’ai vu venir.

La vigilance de mise pour cause d’hérédité imbibée et d’environnement social à risque n’a pas suffi à éloigner les démons d’une alcoolisation qui va occuper de plus en plus de place, fragiliser les rapports conjugaux et familiaux pour finir par isoler totalement André qui se retrouvera sans travail, puis déclaré invalide à 80%.

L’impact sur Benjamin est incontournable et l’éloignement tout autant. Il faudra de nombreuses années pour reconstruire quelque chose qui peut ressembler, par instants, à des rapports père-fils presque “normaux“, ou au moins déchargés du poids d’un passé violent et d’un présent fragile.

Malgré tout, Benjamin gardera le contact en tentant de dépasser la tristesse et la honte vis-à-vis d’un père qui ressemble désormais au stéréotype du malade alcoolique à l’approche d’une mort annoncée par le corps médical mais abandonné à son sort, comme le furent ses ascendants dans une région rurale où l’on peut boire ou inviter à boire sans modération et en fermant les yeux parce que l’on sait trop ce qu’il y a à gagner pour le buveur avant de se préoccuper de ce qu’il y à perdre.

L’auteur nous parle ici « d’un alcoolisme qui n’était pas le fruit d’une tradition ou d’une culture mais qui était déjà le témoin à l’époque d’un renoncement à l’avenir de toute une catégorie de population abandonnée, laissée à elle-même. L’alcool était un moyen de sortir du réel, d’accepter le poids de l’existence, sa fatalité. »

Thibault de Vivies
DopamineCity.fr