Une ivresse alcoolique atypique : la combustion spontanée

Alcool

L’ivresse alcoolique a pu être abordée au fil de l’histoire comme un crime, un vice, un péché, une pathologie selon différents référentiels juridiques, moraux, religieux ou médicaux.

Au-delà du prix à payer au lendemain de l’épisode : la gueule de bois (xylostome), un retour en sous forme d’un châtiment divin a pu prendre sa plus fameuse expression dans des exceptionnels tableaux de combustion humaine spontanée, pour des cadavres retrouvé tout ou partie consumés, comme s’ils avaient été foudroyés et brûlés dans les suites d’une visitation divine (Byard, 2016).

Une description historique

C’est ainsi que des cas exceptionnels et discutés de combustions spontanées, essentiellement décrits après ivresse (et chez des alcooliques) ont envahi les débats scientifiques et littéraires des XVIIIe et XIXe siècles. La question de leur existence ne semble toujours pas résolue, même si leur caractère surnaturel semble aujourd’hui dépassé (Koljonen & Kluger, 2012).

Parallèlement à plusieurs dizaines de descriptions cliniques, c’est surtout la littérature qui a développé et diffusé ces épisodes de manière plus ou moins romancées, d’Eugène Sue (Kornok le Pirate 1830), à Charles Dickens (Mr Krook dans La Maison d’Âpre-vent, 1852), Jules Verne (Un capitaine de quinze ans, 1878), Émile Zola (le Docteur Pascal, 1893), ou diverses déclinaisons plus récentes (Ford, 2012).

Gaston Bachelard a développé cette question dans « la psychanalyse du feu », détaillant différents cas rapportés depuis 1692, rapprochés de modèles punitifs de l’alcoolisme à un moment de développement d’un antialcoolisme associé à une volonté moralisatrice au long du XIXe siècle (Bachelard, 1983). La plus récente synthèse de littérature semble avoir été publiée en 2012 (Koljonen & Kluger, 2012).

S’enflammer pour bruler spontanément …

La combustion humaine spontanée ou autocombustion est une situation où une personne prendrait feu sans cause apparente, aboutissant le plus souvent à la destruction presque complète du corps, mais jamais totale (Gromb et al., 2000). Sa réalité même demeure sujette à caution : elle est source de fascination, entre mythe et éventualité rarissime.

La situation typique est la découverte d’un corps humain avec des parties médianes importantes réduites en cendres, alors que la tête et les extrémités sont moins endommagées, sans source d’ignition observable à proximité, avec des dommages minimes sur l’environnement direct du corps. Un liquide malodorant huileux est retrouvé autour des restes humains et une odeur désagréable de suif brulé est souvent associée. Il s’agit le essentiellement de personnes esseulées, pour un phénomène qui débute et se déroule sans témoins (Koljonen & Kluger, 2012).

Le lien avec l’ivresse est fréquent, supposée comme facteur favorisant, même s’il a plus récemment été remis en cause (présent dans moins de 40 % des cas d’une série) (Koljonen & Kluger, 2012). L’alcool revient souvent, moins comme combustible (car au niveau de dilution dans le corps humain, les solutions alcooliques ne sont plus inflammables) que comme facteur prédisposant à la surcharge graisseuse (usage chronique), au coma ou à la mort (usage aigu).

Après un premier cas décrit, semble-t-il, en 1672 à Paris, d’une « pauvre femme seule ivrogne » retrouvée le matin, entièrement carbonisée à l’exception de ses extrémités (Nourrisson, 1993). La France est considérée comme lieu de naissance du phénomène. Si 100 à 200 cas humains semblent rapportés au monde, ce phénomène n’a jamais été décrit dans d’autres espèces animales… (Byard, 2016; Ford, 2012), 12 cas sont rapportés dans la littérature internationale entre 2000 et 2011, essentiellement en France et en Europe (Koljonen & Kluger, 2012).

Réalité ou fiction ?

Diverses explications ou tentatives de rationalisations ont envisagé comment après un décès de mort naturelle, une source de feu (cigarette, pipe ou étincelle d’un foyer) pouvaient enflammer lentement les graisses du corps, par « effet de mèche » ou effet bougie (Rouzé, 1987).  Malgré tout de rares cas d’inflammation in vivo avec brulures secondaires ont été rapportés (Nourrisson, 1993). Plus récemment, l’hypothèse de la mèche a été remise en avant, avec fonte de graisse corporelle post-mortem qui imprégnerait les vêtements par une brèche cutanée… laissant toujours l’origine du feu dans une zone énigmatique, malgré l’existence de sources d’ignition parfois retrouvées (cigarette ou pipes, allumettes dans une poche avec frottoir…).

D’autres explications d’allures pseudoscientifiques sur un embrasement initial à l’échelon infracellulaire lié à un emballement de réactions productrices d’énergie par des molécules phosphorées (notamment dans les mitochondries) ont été avancées (Byard, 2016). Le faible niveau de glycogène chez les alcooliques malades du foie, aboutissant à une production d’énergie à partir de molécules graisseuses aboutissant à une production d’acétone, hautement inflammable est une autre hypothèse (Ford, 2012).

Quoiqu’il en soit, ces exceptionnelles situations d’autocombustion persistent au XXIe siècle, avec un lien partiel et toujours mal élucidé avec l’ivresse alcoolique.

Références :

Bachelard, G. (1983). La psychanalyse du feu. Gallimard.

Byard, R. W. (2016). The mythology of “spontaneous” human combustion. Forensic Science, Medicine, and Pathology, 12(3), 350-352. https://doi.org/10.1007/s12024-016-9748-2

Ford, B. J. (2012). Solving the mytstery of spontaneous human combustion. The Microscope, 60(2), 63‑72.

Gromb, S., Lavigne, X., Kerautret, G., Grosleron-Gros, P., & Dabadie, P. (2000). Spontaneous human combustion : A sometimes incomprehensible phenomen. Journal of Clinical Forensic Medicine, 7, 29‑31.

Koljonen, V., & Kluger, N. (2012). Spontaneous Human Combustion in the Light of the 21st Century: Journal of Burn Care & Research, 33(3), e102‑e108. https://doi.org/10.1097/BCR.0b013e318239c5d7

Nourrisson, D. (2013). Crus et cuites : Histoire du buveur. Perrin Ed.

Rouzé, M. (1987). Un mythe terrifiant : La combustion humaine spontanée. Raison présente : La nouvelle physique abolit-elle le réel ?, 84(4), 137‑142.

Pascal MENECIER, médecin addictologue, docteur en Psychologie
Centre Hospitalier de Mâcon & Université Lumière Lyon 2, laboratoire Diphe
pamenecier@ch-macon.fr