Alcool : une méta-analyse montre un effet dose-réponse entre le niveau de consommation et l'absentéisme au travail

Alcool

L’alcool est, après le tabac, le deuxième facteur de risque de mortalité évitable en France et dans le monde. Le mésusage de l’alcool entraîne également des conséquences sociales et économiques considérables. Une façon de les évaluer est de mesurer la part attribuable à la consommation d’alcool dans le risque d’absentéisme au travail. Les études observationnelles qui se sont intéressées à cette question ont montré des résultats hétérogènes. La réalisation d’une méta-analyse pourrait donc permettre de donner une mesure « globale » de ces associations en combinant les résultats issus de ces différentes études observationnelles.

Les auteurs de cette méta-analyse internationale ont inclus 21 études observationnelles dont 12 études longitudinales (durée de suivi allant de 2 à 8 années) et 9 études transversales portant sur un total de respectivement 83 268 et 78 519 sujets en âge de travailler (19 à 69 ans). Les consommations d’alcool ont été converties en grammes par jour et les sujets ont été classés en quatre catégories : les abstinents ou les personnes ne consommant jamais d’alcool, les consommateurs à faible risque (1-20g/jour), les consommateurs à risque (20-40g/jour) et les consommateurs à haut risque (>40g/jour). Les alcoolisations ponctuelles importantes (API) étaient définies par des consommations supérieures à 50g pour les hommes et 40g pour les femmes en une seule occasion. L’absentéisme au travail était mesuré à partir de registres administratifs pour toutes les études longitudinales sauf une, et à l’aide de questionnaires pour les études transversales.

Chez les hommes, il existait une augmentation du risque d’absentéisme au travail d’environ 17 % chez les consommateurs à haut risque, comparativement aux consommateurs à faible risque (RR=1.17 (95%CI:1.07 – 1.27.27)). Chez les femmes, ce risque était augmenté d’environ 13 % pour les consommatrices à risque et d’environ 10 % pour les consommatrices à haut risque (RR=1.13 (95%CI:1.02-1.25) et RR=1.10 (95%CI:1.03-1.17)).  De même, un risque plus élevé d’absentéisme était retrouvé pour les personnes présentant des API comparés à celles qui n’en présentaient pas. Ce risque était augmenté de 22 % chez les hommes et de 28 % chez les femmes (RR=1.22 (95%CI:1.06-1.38) et RR=1.18 (95%CI:1.03-1.34)). Un effet dose-réponse entre le niveau de consommation d’alcool et l’absentéisme au travail a été observé à partir d’une consommation de 40 grammes d’alcool par jour, soit environ 4 verres standard d’alcool en France. À partir de ces doses, plus la consommation d’alcool était importante, plus le risque d’absentéisme augmentait.

L’augmentation du risque d’absentéisme chez les consommateurs d’alcool à risque est concordante avec un état de santé plus dégradé du fait de leur consommation excessive d’alcool. Des différences ont néanmoins été retrouvées en fonction du type d’études utilisées pour les analyses. En effet, lorsque les analyses étaient réalisées seulement avec les études longitudinales, les personnes abstinentes avaient un risque d’absentéisme au travail similaire à celui des consommateurs à risque ou à haut risque. Par exemple, l’abstinence était associée à un risque augmenté d’absentéisme au travail d’environ 17 % chez les hommes comparativement à la consommation à faible risque (RR=1.17(95%CI:1.03-1.32)). Chez les femmes, l’abstinence était associée à un risque d’absentéisme augmenté d’environ 12 %  (RR=1.12(95%CI:1.03-1.20)). Ces résultats sont concordants avec le fait que les personnes abstinentes ont souvent dû arrêter de consommer de l’alcool pour des raisons de santé (effet « sick quitter »). Par ailleurs, dans les études longitudinales, l’absentéisme au travail était évalué à partir de registres administratifs alors que dans les études transversales il s’agissait de mesures déclaratives. En effet, la mesure de l’absentéisme de façon objective via les registres permet de mieux s’affranchir de biais de mémoire, d’incompréhension ou de non-remplissage par rapport aux données recueillies avec l’aide de questionnaires. L’absentéisme au travail a donc pu être sous-estimé dans les études transversales, réduisant ainsi la possibilité de retrouver des liens entre l’abstinence de l’alcool et l’absentéisme au travail.  

Cette méta-analyse est, à ce jour, la plus exhaustive sur les liens entre le niveau de consommation d’alcool et le risque d’absentéisme au travail. C’est aussi la première étude à avoir utilisé une modélisation dose-réponse pour étudier le rôle du niveau de consommation sur l’absentéisme au travail. Onze pays différents à travers le monde (Europe, Amérique du Nord, Océanie, Asie, Afrique) étaient représentés dans les études qui ont été incluses dans cette méta-analyse. Cela suggère que les résultats soient transposables dans différents pays. Ces résultats provenant d’études observationnelles, il faut néanmoins rester vigilant sur leur interprétation étant donné qu’il n’est pas possible d’affirmer un lien de causalité. Des études ultérieures pourraient permettre d’affiner ces résultats, notamment en différenciant les absences au travail de courte durée de celles de longue durée, ainsi qu’en définissant de façon plus précise l’abstinence de l’alcool et ses raisons.

En conclusion, cette étude a montré que la consommation d’alcool chronique excessive ainsi que les API sont associés à des risques augmentés d’absentéisme au travail, avec des relations dose-dépendantes, au moins lorsque les consommations dépassent quatre verres standards d’alcool par jour. L’absentéisme au travail étant considéré comme un facteur contributif majeur au coût social lié à l’alcool, les auteurs encouragent l’adoption, ou le renforcement, des politiques de santé populationnelles, pour réduire les coûts sociaux liés à la consommation d’alcool, notamment en augmentant le prix des boissons alcoolisées les moins chères vers lesquelles se tournent le plus souvent les consommateurs à haut risque. Par ailleurs, l’impact de telles politiques de santé sur la réduction de l’absentéisme au travail serait un facteur à prendre en compte lors de l’évaluation médico-économique de celles-ci.

Lien vers l’étude : https://doi.org/10.1093/alcalc/agab008

 

Ophélie Guyonvarch et Guillaume Airagnes.