“Du soleil sur ma tête“, Recueil de nouvelles de Geovani Martins

Autres drogues

Ce recueil de nouvelles d’un auteur brésilien, publié aux Editions Gallimard, nous embarque dans les favelas de Rio de Janeiro, à la rencontre de ces enfants, adolescents ou jeunes adultes qui nous racontent des moments de vie qui se cognent à la réalité du terrain, celle de l’usage et du trafic de stupéfiants… Difficile, en lisant ce recueil d’une bonne douzaine de nouvelles, d’échapper à l’imagerie qui accompagne ces quartiers de Rio ou autres grandes métropoles brésiliennes, et qui a à voir avec la pauvreté, et le trafic de drogues. C’est bien dans cette zone obscure que nous envoie une bonne partie de cette succession de récits à la première personne, même si de nombreuses lueurs d’éclaircie arrivent à se faire une place pas toujours avantageuse… 

Il s’agit pour certains jeunes par exemple de juste “kiffer la plage“, c’est-à-dire profiter des effets d’un gros joint, du soleil, et de l’eau sous le regard suspicieux des autres jeunes et de ces policiers des plages qui les surveillent de près, parés à leur sauter dessus au moindre écart. Deux mondes s’affrontent alors ici, celui des enfants des favelas et celui des bourgeois qui fréquentent les mêmes plages mais se méfient des premiers… Les gamins des favelas ont développé de leur côté un mépris affirmé des policiers, mépris à la hauteur de la manière qu’ont ces derniers de vouloir les neutraliser et de la méfiance des enfants des quartiers bourgeois qui ne veulent pas avoir affaire avec des gamins qui traînent derrière eux une réputation de délinquant…

Les armes, elles sont bien entendu présentes dans les favelas et leur valeur va bien au-delà de la protection personnelle ou communautaire. Elles ont une valeur symbolique, celle de la prise de pouvoir et du maintien d’un ordre précaire. Policiers et membres de gangs s’affrontent régulièrement et jouent au jeu du chat et de la souris qui fait autant de victimes d’un côté que de l’autre. Les places de deal sont l’objet d’affrontements sérieux entre les gangs et les policiers, mais aussi entre gangs, et génèrent des frustrations de tous les côtés. Certains policiers savent alors user ou plutôt abuser de leur pouvoir pour se venger sur des gamins usagers ou petites mains du deal, gamins qui, à leur tour, savent répondre par les armes

Bien entendu, si les favelas sont des lieux d’usage et de deal, elles ne travaillent pas en circuit fermé et alimentent en psychotropes les quartiers et populations financièrement plus aisés. Les jeunes de ces quartiers sont aussi consommateurs bien entendu et les trips collectifs se font aussi bien à la marijuana qu’à la cocaïne, mais aussi au LSD. Chacun sait valoriser ses achats, son produit de prédilection, et les trips qui peuvent y être associés dans un semblant de réduction des risques qui tente de s’apparenter à une vraie connaissance des produits et à un savoir-faire esthète qui se transmet de spécialiste à spécialiste… Dans la favela, on fait avec les substances à disposition et accessibles en fonction du contenu de son porte-monnaie. “La verte“, comme on appelle l’herbe, n’est pas toujours de bonne qualité, surtout suite à des descentes de policiers au “charbon“, comme on appelle les lieux de deal. Cette “beuh“ de mauvaise qualité, au goût d’ammoniaque, et qui ne fait pas beaucoup d’effets, on la consomme entre copains à défaut de pouvoir fumer du crack… La défonce au rabais, c’est celle à la mauvaise herbe, l’essentiel étant, pour les jeunes de la favela, de partager un moment convivial entre pairs, loin des préoccupations liées à leur âge et à leur situation personnelle ou familiale… 

La dernière nouvelle du recueil, s’il était encore besoin de le préciser, montre à quel point la solidarité communautaire du milieu du deal est une façade, et que le “chacun pour soi“ et surtout le “chacun sa merde“ règne en maître. Un gamin ayant tiré à la va-vite et pour une broutille sur un usager acheteur, doit se débrouiller seul pour se débarrasser du corps et devient la risée de sa communauté auprès de laquelle il devra se racheter et refaire ses preuves s’il veut se faire une place. La frontière entre le bien et le mal, la survie familiale ou communautaire et le capitalisme sauvage individualiste reste ténue, même dans les favelas…

Thibault de Vivies 

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