Gonzo H.S.T. (dossier)

Autres drogues

A l’occasion d’une interview que Hunter Stockton Thompson donna en 1989, il déclara « Je n’ai pas encore trouvé de drogue qui défonce autant que de s’asseoir à sa table de travail pour écrire. ». Si l’écrivain n’était pas en reste quand il s’agissait de se charger en alcool ou autres drogues, c’est sûrement l’écriture qui l’emmena vraiment ailleurs, bien au-delà des sujets qu’il eut à traiter dans son travail de journaliste ou de romancier. L’écriture était pour lui une thérapie, dira-t-il, un moyen de comprendre les choses en s’asseyant et en écrivant dessus. « Parce qu’en s’y contraignant, en mettant le sujet en mots, on ne peut éviter de devoir s’y attaquer. » Si nous avons décidé, dans cette revue spécialisée sur les usages et la  culture, de consacrer un dossier aux écrits de Thompson, il est tout de même important d’affirmer que ce sont pour eux que l’écrivain est passé à la postérité, et non pour ses usages de drogues, même si c’est pour ces derniers qu’il est aussi connu, et que c’est bien là que nous allons fouiller. Non seulement il assumait pleinement sa polyconsommation et en parlait ouvertement, mais elle faisait partie intégrante de sa vie, était son stimulant, et l’accompagnait dans toutes ses enquêtes. C’est donc par ce prisme que l’on peut ici, approcher son oeuvre et, en l’occurrence, la faire découvrir. C’est du moins l’objectif…

Cette oeuvre est prolifique et plurielle puisqu’elle est composée aussi bien de romans et d’articles, que de lettres ou autres formes de textes courts. On peut facilement reconnaître l’écrivain à la lecture de cette somme de récits qui sont autant d’aventures. Même s’il a pris du temps à s’affirmer, son style a fait parler de lui et a révolutionné le journalisme dans les années 60 et 70. C’est un des collègues et amis de Thompson, Bill Cardoso, qui, en 1970, à la sortie de l’article de Hunter titré Le derby du Kentucky est décadent et dépravé, affirmera au journaliste que son travail est du “pur Gonzo“. Pour comprendre ce que Cardoso entendait par là, il faut revenir à l’origine de ce mot “gonzo“. Le reporter explique que c’est le terme employé par les Irlandais dans les quartiers sud de Boston pour désigner le dernier homme à encore tenir debout alors que tous autour de lui se sont écroulés d’avoir trop bu. Si l’on veut ramener ce terme à l’écrivain Thompson et à son style journalistique, il faut lui reconnaître que malgré la tournure qu’ont prise les reportages dans lesquels il s’est totalement immergé, et malgré les litres d’alcool ingurgités et les quantités d’autres drogues consommées, il a toujours su tenir debout, donner de sa personne, et livrer des textes qui ressemblaient plus à des nouvelles qu’à des articles. Et c’est la spécificité du “journalisme gonzo“, qui lui survivra, à savoir une écriture à la première personne,  le recours à des techniques romanesques comme les dialogues, une approche des sujets totalement subjective, voire même ultra-subjective, un ton débarrassé de toutes les politesses inhérentes à l’écriture journalistique de l’époque, une impertinence courageuse, et surtout une posture de protagoniste donnant au narrateur une place aussi importante que le sujet traité. Thompson s’est approprié ce terme Gonzo avec délectation, d’autant qu’il est aussi le titre d’un morceau de James Booker, pianiste reconnu, mais connu pour ses usages immodérés de drogues… En faisant du gonzo, Hunter S. Thompson sentait qu’il bousculait le journalisme de l’époque et le précipitait ainsi vers un déclin qui lui semblait inéluctable. Un autre déclin, celui du rêve américain, faisait aussi partie de ses préoccupations…   

On a appelé cette évolution du traitement des sujets dans les journaux : le “nouveau journalisme“, forme émergente aux Etats-Unis au début des années 60, mais reprise par d’autres écrivains/journalistes américains par la suite. Tom Wolfe, l’auteur de Acid Test, est probablement l’un des plus illustres représentants du mouvement. Thompson s’est inscrit lui aussi dans ce mouvement sans que ce soit prémédité, mais a exacerbé son état d’esprit… Ces formes de longues enquêtes/récits sont d’ailleurs plutôt dans l’air du temps ces temps-ci. Pas seulement aux Etats-Unis, mais en France aussi… Une autre dimension, et pas des moindres, est à mettre en avant dans ce genre gonzo. Il s’agit de la frontière, qui reste ténue, entre réalité et fiction. Hunter S. Thompson n’hésitait pas à dire qu’il était évident que certains évènements n’avaient pas pu se produire tel quel, même s’ils prenaient appui sur la réalité. De son point de vue, la vérité nécessitait parfois quelques détours salutaires. L’écrivain échangeait parfois son identité de narrateur par celle d’un pseudo derrière lequel il ne se cachait pas vraiment. Cette coquetterie permettait certainement d’identifier le texte comme un roman et non comme une très longue enquête. Ce fut le cas notamment pour Las Vegas Parano et Rhum express, où les personnages de Raoul Duke ou de Paul Kemp n’étaient en fin de compte que des avatars, hauts en couleur, de l’écrivain… 

Hunter S. Thompson a tout de même bien vécu une très grande partie des événements décrits dans ses romans. Et en ce qui concerne ses articles, tout autant reconnus que ses romans, la fiction se niche souvent dans des détails. En parcourant son oeuvre, on a donc l’occasion et l’impression d’accompagner l’écrivain dans son parcours de vie, tant ses enquêtes ont occupé son temps d’existence qui ne fut pas si long malheureusement… Hunter S. Thompson s’est suicidé d’une balle dans la tête le 20 février 2005 dans sa maison de « Owl Farm » à Woody Creek dans le Colorado. Cette maison était son refuge. Il y vivait depuis 1967, et l’avait acheté grâce aux droits d’auteur de Hell’s Angels, sa première longue enquête, publiée la même année… Il n’avait pas encore soixante dix ans le jour de sa mort, mais d’en être arrivé là était déjà pour lui du bonus, aimait-il dire. Difficile d’être sûr de son âge exact, car là encore la fiction faisait un pied de nez à la réalité. Il serait né en 1937, mais des sources affirment que ce serait plutôt en 1939, et que Thompson avait menti pour pouvoir intégrer sa première rédaction… 

La vie de l’écrivain n’a pas toujours été couronnée de succès. Il faudra attendre 1967 et la parution de cette fameuse enquête fouillée sur le gang de motards pour que sa carrière de journaliste décolle. Hunter voulait être écrivain et c’est par le biais du journalisme qu’il arrivera à ses fins. Il publiera dans de nombreux journaux et magazines, dont notamment Rolling Stone, le New York Times Magazine, le National Observer, le Scanlan’s Monthly, Playboy, Reporter, Distant Drummer, Spider Magazine, Esquire. La collaboration avec ce journaliste, qui rendait rarement ses papiers dans les temps, n’était pas toujours simple et apaisée… Une grande sélection de ses articles a été rassemblée dans des ouvrages publiés de son vivant. Ses lettres ont eu aussi droit, comme il l’avait toujours souhaité, à une parution publique… Thompson était devenu à la fin de sa vie une sorte de caricature de lui-même. Il n’écrivait, ou du moins ne publiait, plus beaucoup, et vivait reclus dans sa maison de Woody Creek où l’on venait le visiter comme “Pape du Gonzo“. Ces admirateurs étaient nombreux et venaient contempler The phénomène, un phénomène parfois bourru et souvent armé qui entretenait sa réputation en vivant au niveau de celle qui lui avait été faite de marginal, défoncé, impertinent, agité, mais intègre et sans complaisance… Même s’il est vrai que les psychotropes l’ont accompagné toute sa vie, ils ont sûrement pris le dessus sur la fin. Et puisqu’il restait encore debout malgré tout, en bon gonzo qu’il était, il fallait bien que ce soit lui qui mette fin à tout ça, sans avoir oublié, préalablement, de notifier par écrit ce qu’il envisageait pour ses funérailles… C’est Johnny Depp, l’acteur américain qui était devenu son ami après les deux films, adaptés de ses oeuvres, dans lesquels il avait joué le double de Hunter, qui organisa l’ultime au revoir de l’écrivain. Ses cendres furent dispersées à l’aide d’un canon placé en haut d’une tour de plusieurs mètres de haut. Une envolée vers de nouveaux paradis artificiels espérons-le… 

Ce texte introduit le dossier central du numéro 18 de la revue DOPAMINE (www.revuedopamine.fr), dossier que vous retrouverez en PDF téléchargeable pour “en savoir plus“.

Les oeuvres de Hunter S. Thompson que vous retrouverez dans ce dossier sont les suivantes :
– Rhum Express
– Hell’s Angel
– Las Vegas Parano
– Gonzo Papers
– Gonzo Highway

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