“Le testament de Pablo Escobar“ Un ouvrage de Jean-François Fogel

Autres drogues

La réédition, aux Editions La Manufacture de livres, de cet essai titré : Le testament de Pablo Escobar est l’occasion de revenir sur le parcours d’un homme érigé au rang de mythe car emblématique des rapports qu’entretiendra la Colombie avec une violence subie, mais aussi ceux qu’entretient plus globalement le narcotrafic avec un voisin du nord qui occupe une place non négligeable…

Il faudra attendre le 2 décembre 1993 et une bonne quinzaine d’années de combat acharné pour que la Colombie réussisse à se débarrasser de son plus grand trafiquant. Mais si le corps a bien été criblé de balles sur le toit d’un immeuble de Medellin, le personnage semble immortel, si bien que certains aficionados pugnaces continuent de perpétuer le mythe. Pablo Escobar est loin d’avoir disparu du paysage colombien, et même mondial pour la simple et bonne raison qu’il rassemble et raconte à lui tout seul l’ensemble des problématiques du trafic aussi bien à un niveau local qu’à un niveau international. Il suffit de compiler l’ensemble des ouvrages, films ou séries télévisées pour se rendre compte que le sujet est inépuisable. On veut comprendre comment on en est arrivé là, et comment la violence a pu être entretenue aussi longtemps.

Les enjeux financiers dans ces histoires sont tels qu’ils font ressortir tous les travers que les hommes, des deux côtés de la loi, sont prêts à exploiter pour atteindre leurs objectifs ou simplement se faire entendre. Dans le parcours “d’El Patron“, comme on l’appelait, il est beaucoup question d’orgueil et de gros sous, mais aussi du besoin de reconnaissance d’un homme, et d’un peuple derrière lui, face à la grande puissance que constituent les Etats-Unis. Ce pays a décidé à l’époque de faire payer à la Colombie, et aujourd’hui au Mexique, l’ensemble des usages des Américains, sans à aucun moment se remettre en question et accepter l’idée que la demande venant des pays nord-américains, l’Amérique latine n’a fait que la satisfaire. La responsabilité du fiasco des politiques publiques, aussi bien en termes d’usage que de trafic, est donc largement partagée… Si Escobar est encore sur le devant de la scène c’est que l’abcès n’est toujours pas crevé. On s’accroche à une figure encore ambiguë, celle qui conjugue des extrêmes : le Robin des Bois d’un côté qui redistribue au peuple les dollars pris dans les poches des Américains, et celle du plus grand criminel de tous les temps qui a mis un pays à feu et à sang. Les Colombiens ne reprocheront jamais à Escobar d’avoir vendu de la drogue aux Américains, mais simplement d’avoir lutté contre le pouvoir en place en usant de toute sa férocité et en grossissant ainsi, et sans scrupule, le rang des victimes… 

Pablo Escobar était le roi de la démesure. Il l’a entretenue pour ne surtout pas passer inaperçu, marquer son temps et se battre contre une possible extradition, son cheval de bataille. Son souci de reconnaissance, de respect envers lui, et de protection des membres de sa famille était constant… Bien entendu, ce n’est pas en coupant la tête du trafic que l’on supprime son activité. Cali prendra le relais de Medellin, les champs de pavot côtoieront un peu plus encore les champs de coca et les dollars américains continueront à remplir les poches des narcotrafiquants, car tant qu’il y a de la demande à satisfaire au Nord, l’offre suivra dans le Sud… Les Etats-Unis continueront à dépenser des fortunes dans une guerre à la drogue qu’ils mèneront toujours principalement sur terrain adverse pour tenter de se convaincre que la racine du “mal“ n’est pas sur leur sol…

Thibault de Vivies 

(Cet article est la version courte d’un article paru dans la revue DOPAMINE.)

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