La parution de ce roman publié aux Editions de l’Equateur est l’occasion d’aller jeter un oeil indiscret à l’usage de sédatifs d’une mère de trois fillettes de 6, 4 et 1 ans qui ne trouve plus la force de se mobiliser pour penser et agir… Ce matin, comme beaucoup d’autres avant celui-là, Rebecca ne se lèvera pas pour préparer ses filles et les accompagner à l’école ou à la crèche, pour soulager son mari Anton dans ces tâches familiales du quotidien que la jeune femme de trente-trois ans n’arrive plus à assumer… Elle restera clouée au fond du lit, le cerveau endormi par l’alcool ou le Néo-Codion…
La consommation de cette jeune mère de famille ne date pas d’hier. Enfant déjà, fille d’un médecin et d’une pharmacienne, elle avait développé une passion pour les pastilles et les sirops. A quatorze ans elle s’essayait en cachette à réaliser des mixtures médicamenteuses qu’elle expérimente elle-même et à seize ans il a fallu augmenter les dosages et la place que ces amis particuliers prenaient dans sa vie. Le sillon a été creusé il y a si longtemps qu’il est devenu ornière et qu’il est difficile alors désormais de s’en extraire… Les jours se suivent et se ressemblent et pas question d’échapper à cette routine, à ces rituels qui constituent le cadre qui rassurent les enfants… Rebecca doit alors s’appuyer beaucoup sur Anton mais aussi sur sa soeur ou sa belle-mère qui vient régulièrement donner un coup de main mais qu’elle aimerait moins présente pour ne pas lui faire ressentir qu’elle n’est pas capable de s’occuper de ses filles. Elle s’appuie aussi un peu, un peu trop, sur Justine, sa fille aînée, à peine six ans et déjà un mètre dix de répondant.
Il y a tout de même eu des années de répit où Rebecca était “clean“, comme on entend souvent, entre la première grossesse et la naissance de la dernière. Anton avait bien cru à ce moment-là que son souhait d’une maternité salvatrice avait été exaucé… Il avait rencontré Rebecca dans la salle d’attente d’une addictologue qui suivait la jeune fille depuis l’âge de dix-sept ans. Cette addictologue se trouvait être sa mère. Il était tombé amoureux d’une “droguée“ qui ne véhiculait en rien l’image d’une “droguée“, si tenter que cette image puisse être clairement définie… Malheureusement, à la naissance de leur troisième fille, l’alcool et les opiacés s’étaient rappelés aux bons et mauvais souvenirs de Rebecca qui avait alors replongé sous sa couette… Au lever, il faut désormais lutter contre le manque, ça veut dire tout faire pour résister à l’appel de l’usage qui le soulagerait. Rebecca avoue que même ces usages de psychotropes ne brouillent qu’un court instant une réalité à laquelle elle veut échapper. Le sommeil, lui, raccourcit la journée… Encore aujourd’hui Anton ne comprend pas comment Rebecca a pu en arriver là. Et pourtant sa femme avait réussi à arrêter. Et pourtant sa femme est brillante. Et pourtant sa femme est appréciée de tous. Et pourtant sa femme est mère de trois superbes fillettes…
Accompagner au mieux un proche, ce n’est pas forcément vouloir tout comprendre pour tenter de mieux maîtriser les enjeux de l’usage, mais simplement être là avec bienveillance, sans compassion et tentatives de contrôle ou de sauvetage souvent malvenues…
Thibault de Vivies
(Cet article est la version raccourcie d’un article paru dans la revue DOPAMINE.)