Cet ouvrage, publié aux Editions Nevigata, nous plonge au coeur d’une chasse à l’homme qui durera vingt-huit mois, celle que Richard Nixon, alors Président de Etats-Unis, entreprit à l’évasion de Timothy Leary, “grand manitou“ du LSD et emblème de la contre-culture hippie des années 60-70.. On ne pourra pas dire que l’ex-professeur de psychologie de Harvard n’a pas tout fait pour faire tourner en bourrique un président américain qui, embarqué dans une croisade sans limite contre les forces d’opposition politique et de la contre-culture des années 60, a fini par craquer et faire les erreurs qui l’ont poussé à démissionner. A cette époque, Nixon considérait que l’homme le plus dangereux d’Amérique était Timothy Leary, adepte de substances hallucinogènes dont il faisait la promotion sur le campus, puis en dehors, suite à son éviction. En 1963, il créa la League for spiritual Discovery, une communauté qui accueillait tous ceux, jeunes ou moins jeunes, qui étaient prêts à se laisser guider par les effets hallucinogènes du LSD et en apprendre alors un peu plus sur eux et sur le monde qui les entoure. Le slogan scandé par Leary était le suivant : « Turn on, tune in, drop out ».
Au début des années 70, Nixon trouve en Leary le bouc émissaire idéal dans sa “guerre à la drogue“ qu’il doit personnifier pour qu’elle ait plus de poids auprès de l’opinion publique… Il ne faudra pas plus de deux joints de marijuana découverts dans sa voiture pour que Leary soit emprisonné et condamné à dix ans de prison… Avec la complicité de son avocat, de sa femme Rosemary, des Weathermen, collectif de gauche radical antiraciste et anti-impérialiste, et de la Brotherhood of Eternal Love, communauté hippie assez disparate, fan de Leary et distributrice de cannabis et d’un acide très pur, appelé Orange Sunshine, le Docteur Leary réussit à s’échapper et à fuir un pays dont le chef de l’état a toujours juré qu’il mettrait tout en oeuvre pour le faire taire et l’empêcher d’agir… Le 12 septembre 1970, après un peu plus de deux cents jours de détention, Timothy Leary est en cavale. C’est le premier jour d’un périple qui durera plus de deux ans et lui fera voir du pays comme on dit…
La première étape sera l’Algérie où le leader des Black Panthers, Eldridges Cleaver, réfugié avec une partie de sa communauté et à qui on a même accordé une ambassade comme gouvernement noir en exil, l’accueillera avec sa femme. Après quelques tensions et profonds désaccords, mais aussi une tentative infructueuse de Nixon de faire extrader l’ex-professeur, le couple fuira en Suisse où ils seront pris en charge, à tout point de vue, par un millionnaire, Michel Hauchard, qui fournira le gîte, le couvert et des psychotropes à volonté. L’impossibilité pour l’auteur psychédélique de revenir au bercail est à la hauteur de ce qu’il est prêt à céder à Hauchard comme droit d’auteur sur ses écrits. Malgré tout, Tim sera arrêté et retenu en prison en attendant son extradition… Heureusement pour lui, les soutiens littéraires et artistiques américains, sous la houlette du poète beat Allen Ginsberg, se mettront en branle et feront pression sur les officiels suisses. Le gouvernement suisse comprendra que Leary n’est pas le criminel dépeint par les sbires de Nixon et libèreront Tim pour raison médicale… Mais la stratégie mise en place par les services secrets de Nixon sera celle de la terre brûlée. Les agents américains feront pression sur les cantons suisses, un par un, pour qu’ils éditent des arrêtés qui empêchent Tim de séjourner sur leur territoire. Et ça fonctionnera. Tim sera isolé, car de plus Rosemary l’a quitté… C’est à ce moment-là qu’une jeune femme de 26 ans fera son apparition dans sa vie. Elle s’appelle Joana Harcourt-Smith et leur périple les conduira, après un détour par l’Autriche, en Afghanistan où ils retrouvent des membres de la communauté hippie Brotherhood of Eternal Love, et fument des joints qui contiennent un très bon cannabis agrémenté d’opium…
Mais Terrence Burke, ancien de la CIA, sans scrupule et missionné par Nixon, viendra les récupérer en main propre sur le sol afghan alors qu’aucun traité d’extradition n’a été signé entre les Etats-Unis et l’Afghanistan… Le 18 janvier 1973, Nixon peut savourer sa victoire, même si elle sera de courte durée puisqu’il sera personnellement mêlé aux affaires du Watergate qui l’obligeront à démissionner de la présidence en 1974… Détenu désormais sur le sol américain et sous le coup d’une condamnation de plusieurs dizaines d’années de prison, Leary, après quelques mois d’emprisonnement, se confie aux agents du FBI qui veulent anéantir les Black Panthers, la Brotherhood of Eternal Love et les Weathermen. Leary gagne alors sa libération en avril 1976, et vivra jusqu’à la fin de vie de sa plume, de ses conférences, et de quelques apparitions au cinéma… Il meurt d’un cancer de la prostate le 31 mai 1996 à l’âge de 75 ans, et restera dans les mémoires comme un des plus grands promoteurs des drogues psychédéliques. Il incarne par la même occasion la fronde au gouvernement, de laquelle Nixon ne se remettra jamais…
Thibault de Vivies
(Cet article est la version raccourcie d’un article paru dans le numéro 12 de la revue DOPAMINE.)