Cette bande dessinée parue aux Editions Air librenous raconte l’histoire de Guy dont on ne sait pas grand chose, si ce n’est son prénom qu’il scande avec fierté. Guy est un grand buveur, et le portrait qui en est tiré ici est celui d’un brigand opportuniste, voleur et meurtrier, mais surtout assoiffé, prêt à tout pour étancher sa soif de rhum… L’aventure commence dans la rue où Guy semble passer toutes ses journées de “biture“ et toutes ses nuits de sommeil. Il a l’alcool joyeux mais tantôt roublard, tantôt vraiment méchant. Il chante à tue-tête, dérange et bouscule les passants, subtilise la canne d’un infirme pour pouvoir récolter quelques sous en faisant la manche, dérobe discrètement une bonbonne de vin (ou autre alcool), et alors boit, boit, boit et boit… Une nuit il s’en prend à un “bourgeois“ pour essayer de le détrousser, et finit par l’égorger suite à un combat acharné… Et c’est à partir de ce moment-là que les morts, à commencer par cette première victime, basculeront, les uns après les autres, dans un espace nébuleux fermé ou presque, aux contours flous, où la seule occupation est de jeter un œil dans le monde des vivants, du moins celui de Guy, cet homme croisé quand ils étaient encore vivants, et dont ils suivent les aventures sans pouvoir intervenir, ou presque…
Guy travaille désormais, ou a travaillé (difficile de se situer dans le temps) sur un bateau en tant que charpentier. Il se voit attribuer, dans un rôle d’assistant, un tout jeune apprenti, Clément… La première mission du mousse apprenti charpentier sera de boire plusieurs gorgées au goulot de cet alcool qu’il n’est pas question de servir au verre. L’initiation se déroule en haut du mât où Guy fait sa sieste tout en faisant semblant de travailler… Quand le bateau se fait attaquer par des pirates, Guy se réfugie en cale avec son jeune compagnon de circonstance, juste le temps de voler un collier précieux sur le cou d’une femme morte du scorbut, soeur cadette du Capitaine et promise en mariage à un riche ambassadeur de Jazira, port où doit accoster le navire… Seule la soif d’alcool guidera la suite des péripéties de Guy, et ce sans que la compassion et la mauvaise conscience viennent interférer, à aucun moment…
Dans les limbes, où sont coincés le “bourgeois“ mort et la soeur cadette de l’ex-capitaine, morte elle aussi donc, s’invitent un pied sans corps ainsi qu’un corps sans tête, puis enfin l’apprenti charpentier Clément qui s’est noyé au cours d’une tempête… Cette nébuleuse indéfinie, espace parallèle plus ou moins borné qui ouvre quelques fenêtres sur la réalité, va assez vite alors basculer vers la rêverie ou le psychédélisme. On pourrait penser qu’on attend ici avec impatiente notre homme imbibé qui, dans ses moments de delirium tremens, serait prêt à basculer lui aussi, mais rien ne nous permet de savoir où finit le réel et où commence l’imaginaire. Les délires se suivent et s’accumulent jusqu’à ce qu’un nouveau vaisseau d’apparat accueille notre homme qui semble là accuser le coup d’une consommation régulière et prolongée.
Ce charpentier, méchant, malhonnête, lâche et plus encore, qui nous est présenté dans cette bande dessinée, n’a semble-t-il rien à offrir qui puisse l’amender aux yeux du lecteur. Et pourtant, ce lecteur pourrait tout de même ressentir de la compassion, certes fragile, envers lui, du fait de sa consommation. Comme si l’usage chronique pouvant expliquer les comportements déviants, surtout quand ils sont tournés vers la quête d’alcool, permettait d’excuser beaucoup… Accepte-t-on plus facilement qu’un homme se perde quand la direction suivie est celle d’un besoin de bien-être et surtout de soulagement d’un manque ?…
Ce texte est la version courte d’un article paru dans le numéro #02 de le revue DOPAMINE