Alcool et réduction des risques : l’industrie de l’alcool joue-t-elle vraiment le jeu ?

Alcool

En France, selon l’Observatoire Français des Drogues et des Toxicomanies (OFDT) on compte environ 8,7 millions de consommateurs réguliers d’alcool. 39% des 18-75 ans sont considérés comme ayant un mésusage d’alcool, c’est-à-dire étant à risque de développer des dommages dus à leur consommation.

Le terme « mésusage » n’englobe pas seulement l’addiction à l’alcool mais aussi tout usage d’alcool pouvant être préjudiciable à l’individu selon la quantité consommée, la fréquence des consommations ou le contexte de la consommation. On retrouve dans cette catégorie la consommation d’alcool au volant, pendant la grossesse, le binge drinking (consommation importante d’alcool en peu de temps), ou encore la consommation supérieure aux seuils recommandés par l’agence Santé Publique France (2 verres par jour, pas tous les jours).

Un des moyens pour lutter contre ces usages à risque est d’informer clairement la population de leurs conséquences néfastes, et du type d’usages à atteindre, pour diminuer les dommages tant pour l’individu que pour la société. En France et ailleurs, les agences de santé publique ont, dans cette optique, développé des spots publicitaires délivrant des messages de prévention concernant l’usage d’alcool. L’idée est qu’en visionnant ces spots, les consommateurs puissent remettre en question leurs pratiques et revenir à des consommations moins risquées, moins fréquentes et moins importantes.

Mais les agences de santé publique ne sont pas restées longtemps seules sur le coup : les industriels de l’alcool s’y sont aussi invités. Revendiquant leur droit et leur légitimité à faire de la prévention concernant les produits qu’ils vendent, ils produisent des publicités supposées mettre en garde les buveurs contre des consommations excessives. Cela peut paraître paradoxal car on sait que les intérêts – économiques – des industries ne sont pas toujours ceux de leurs consommateurs. Il semble donc y avoir dans cette affaire un évident conflit d’intérêt, dans la mesure où une telle campagne publicitaire de prévention des risques devrait logiquement conduire à une réduction de la consommation d’alcool, donc des ventes, et donc du chiffre d’affaires. La volonté affichée de réduction des risques est d’ailleurs parfois trompeuse, à l’image de ce qui se passe actuellement avec l’industrie du tabac, qui sous couvert d’encourager le sevrage tabagique s’est vue accusée de promouvoir certains produits nicotiniques addictogènes auprès des plus jeunes, via des influenceurs sur Instagram, bien que cela ne soit pas le public prétendument visé.

On pourrait donc se demander si les spots de prévention réalisés par l’industrie de l’alcool ne seraient pas moins efficaces que ceux produits par les organismes de santé publique.

C’est ce qu’ont voulu tester des chercheurs dans cette étude. Ils y comparent l’impact des deux types de spots publicitaires sur les habitudes de consommation et la façon de voir l’alcool de volontaires australiens qui consomment régulièrement de l’alcool. Ils ont fait visionner à un premier groupe de volontaires 3 publicités réalisées par l’industrie de l’alcool, et à un deuxième groupe 3 publicités réalisées par des agences de santé publique. Les publicités visaient toutes à réduire les consommations d’alcool à risque.

Après chaque visionnage, les participants répondaient à une série de questions portant sur leurs motivations à boire, l’impact que ces publicités pourraient avoir sur leurs futures consommations, et la façon dont ils percevaient les personnes consommant de l’alcool.

Les résultats montrent que les publicités à visée préventive créées par les industriels de l’alcool engendrent moins de motivation et d’intention à réduire les quantités d’alcool (en quantité ou fréquence) et une perception plus positive des personnes qui consomment de l’alcool que les publicités des agences de santé publique.

En résumé : les publicités de l’industrie de l’alcool s’avèrent moins efficaces en termes de réduction des risques que celles des agences de santé publique.

L’analyse des publicités des industriels de l’alcool montrent qu’elles mettent principalement l’accent sur la responsabilité individuelle lors des consommations d’alcool plutôt que sur les effets et les risques de l’alcool en lui-même. Elles inciteraient presque à boire… Mais raisonnablement, sans toutefois définir clairement ce qu’est une consommation raisonnable. La question n’est alors pas de moins consommer mais de mieux consommer.

Si cet article ne permet scientifiquement pas de remettre en question la bonne foi des industriels de l’alcool concernant leurs spots publicitaires préventifs, il permet en revanche de montrer que, dans cette logique de réduction des risques, il vaudrait mieux privilégier la diffusion des spots publicitaires des agences de santé publique, qui paraissent plus efficaces.

Par Benjamin Rolland et Julia de Ternay. 

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