Comment les animaux nous renseignent sur les risques d'addiction liés au confinement ?

Les animaux ont été souvent utilisés pour étudier les comportements d’addiction. Certains de ces travaux nous donnent des pistes pour limiter le risque de pratiques addictives pendant le confinement.

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Nourriture, alcool, tabac, écrans : à l’heure du confinement, la crainte d’une exacerbation des conduites addictives va croissante.

Cette situation sans précédent est trop récente pour que nous puissions disposer de données scientifiques publiées afin d’évaluer son impact sur les comportements. Cependant, si les études conduites chez l’être humain manquent, ce n’est pas le cas de celles menées sur les animaux. Ces derniers ont en effet été très utilisés pour explorer le concept d’« environnement enrichi », autrement dit de cages équipées de jouets ou d’objets divers.

L’influence d’un tel environnement sur les animaux est-elle bénéfique, en particulier sur leur consommation de substances addictives ? Des conditions environnementales stimulantes et enrichies aident-elles à la prévention et au traitement des comportements addictifs ?

La réponse est oui, ce qui a des implications sur la conduite à tenir pendant le confinement.

Un environnement enrichi atténue les phénomènes de dépendance chez le rat

Pour comprendre comment sont menés ce genre de travaux, prenons l’exemple d’une étude ayant évalué l’effet d’un environnement enrichi sur l’usage d’un médicament psychoactif, le diazépam.

Le diazépam est une molécule appartenant à la classe des benzodiazépines. Utilisée dans la prise en charge symptomatique de l’anxiété et dans le sevrage d’alcool, elle peut induire une pharmacodépendance ainsi que des symptômes de sevrage à l’arrêt du traitement.

Dans cette étude, douze rats adultes ont été maintenus pendant quatre semaines dans un environnement de laboratoire classique, tandis que douze autres bénéficiaient d’un environnement enrichi. Ce dernier consistait en trois à quatre jouets synthétiques colorés, des tunnels et des roues d’exercice. Les tunnels et les roues ont été maintenus à l’identique toute la durée de l’étude, tandis que les autres jouets ont été remplacés deux fois par semaine.

Chaque groupe a ensuite été divisé en deux sous-groupes. Les membres de l’un des sous-groupes ont reçu une solution saline, tandis que ceux de l’autre sous-groupe ont reçu du diazépam (dosage 1 mg/kg) un jour sur deux pendant treize jours, soit 7 administrations au total). Pendant la période d’administration du diazépam, les rats ont passé des tests de préférence de place conditionnée. Ce type de test repose sur l’utilisation de deux compartiments séparés par un tunnel permettant d’aller de l’un à l’autre. Après une phase de conditionnement, il permet de mesurer le temps passé dans le compartiment associé à un stimulus donné (ici, la distribution de diazépam), ce qui indique l’appétence que l’animal montre pour ce stimulus.

Un test de préférence a été effectué afin d’évaluer la préférence au diazépam les 5e, 9e et 13e jours de l’expérience. Les chercheurs ont ainsi observé que l’administration de diazépam conduisait à une préférence progressive pour cette substance, ce qui caractérise une forme d’addiction chez les animaux. Cette préférence mettait cependant plus de temps à s’installer, et était nettement plus limitée, dans le groupe bénéficiant d’un environnement enrichi, par rapport au groupe contrôle.

Des altérations neurocomportementales évocatrices d’un phénomène de sevrage (activité locomotrice réduite, comportement de type dépressif, troubles de l’apprentissage et de la mémoire) ont également été observées 24 heures après l’arrêt du diazépam. Elles étaient toutefois ici aussi moins importantes pour les animaux élevés dans un environnement enrichi.

Des effets sur une variété de comportements

D’autres études menées chez des rongeurs ont montré que l’exposition à un environnement enrichi pouvait avoir des effets bénéfiques dans la prévention et/ou la prise en charge du trouble d’usage de méthamphétaminede cocaïned’opiacés tels que l’héroïne et de nicotine.

Des auteurs ont également montré l’intérêt d’un environnement enrichi pour limiter les troubles cognitifs et neurocomportementaux chez des souris adultes après une période de consommation répétée d’alcool de type binge drinking, durant l’adolescence. Enfin, une dernière étude a révélé l’effet protecteur d’un environnement enrichi, pendant l’adolescence, vis-à-vis des comportements de consommation excessive d’alcool, d’anxiété, de recherche de nouveauté et de compulsion chez des souris adultes.

La richesse de l’environnement limite l’attrait pour les substances psychoactives

Les modèles animaux démontrent donc que plus un environnement est riche, stimulant, diversifié, et source d’intérêts multiples, plus l’attractivité d’une substance psychoactive va se trouver limitée. Ce constat global est en phase avec le modèle « biopsychosocial » qui domine le champ des addictions.

Ce modèle veut que le rapport aux comportements à risque d’addiction soit la résultante d’une équation permanente entre les facteurs intrinsèques d’un sujet (sa biologie, son histoire personnelle, résultante de son environnement passé), et l’environnement immédiat de celui-ci (la culture sociétale, la pression de groupes de pairs, etc.).

Ainsi, dans ce modèle, un environnement enrichi va limiter l’attirance et l’effet réconfortant de la nourriture, des écrans, ou des substances psychoactives. Au contraire, un environnement social appauvri, du stress, un manque d’activité ludique ou d’activité sociale, un accès restreint aux stimuli culturels, va exposer davantage l’individu aux effets addictifs de certains comportements. Eh oui, comme chez les rongeurs…

Moralité : durant le confinement, restons chez nous, mais gardons le plus possible des rythmes et rituels de vie variés, lisons, jouons, veillons à conserver une activité physique minimale, et échangeons avec les autres !

Auteurs : Benjamin Rolland et Louise Carton