Traumatisme de l’enfance et mésusage de cocaïne : l’implication du système immunitaire.

Afin de tester l’hypothèse que les traumatismes à l’enfance rendent l’individu plus sensible aux effets de la cocaïne les auteurs développent 3 questions : 1) est ce que les individus ayant subi un traumatisme à l’enfance développent une réponse immunitaire plus grande en réponse à la cocaïne ? 2) Quels sont les effets d’un traumatisme précoce sur le système immunitaire ? 3) Est-ce que ces effets sont durables dans le temps ?

Autres drogues

Subir un traumatisme lors de l’enfance est un facteur de risque ultérieur de trouble d’usage de substance (TUS) 7 à 10 fois augmenté. Le système immunitaire est impliqué à la fois dans l’expérience traumatique et dans le TUS. Cependant l’implication étiologique du système immunitaire chez des personnes ayant subies un traumatisme dans l’enfance et TUS ultérieur reste encore inconnue.

Le système immunitaire est immature à la naissance, il nécessite des interactions avec l’environnement pour devenir mature. Un traumatisme précoce peut sensibiliser de façon permanente le système immunitaire du futur adulte. Les psychostimulants affectent également le système immunitaire notamment via le niveau de cytokines pro-inflammatoires ou encore la voie immunitaire du toll-like receptor 4 (TLR4). Afin de tester l’hypothèse que les traumatismes à l’enfance rendent l’individu plus sensible aux effets de la cocaïne les auteurs développent 3 questions : 1) est ce que les individus ayant subi un traumatisme à l’enfance développent une réponse immunitaire plus grande en réponse à la cocaïne ? 2) Quels sont les effets d’un traumatisme précoce sur le système immunitaire ? 3) Est-ce que ces effets sont durables dans le temps ?

Dans cette étude, les auteurs ont réalisé plusieurs schémas expérimentaux in vivo et ex vivo chez l’Homme et l’animal pour essayer de répondre à ces questions. Le schéma expérimental chez les souris consistait à exposer un souriceau entre le 14e jour et 21e jours de vie à une souris mâle adulte agressive durant 30 min par jour pour modéliser le stress précoce (SP). Puis après un mois, une période d’administration de cocaïne à 5mg/kg alternant un jour sur deux avec une solution saline durant 10 jours, puis uniquement une solution saline durant 10 jours puis un sevrage complet. A chaque prise de cocaïne et lors du sevrage des prélèvements sanguins étaient réalisés.

Les souris subissant le SP présentaient une plus forte expression de gènes impliqués dans la réponse inflammatoire médiée par les cytokines et chémokines. D’autant plus que ces augmentations étaient uniquement détectées après consommation de cocaïne, suggérant un effet sensibilisateur du SP sur ces gènes. Par ailleurs les cellules périphériques (splénocytes) produisaient significativement plus de cytokines pro-inflammatoires chez les souris-SP. Toutes ces cytokines étaient d’autant plus augmentées par la consommation de cocaïne chez les deux groupes de souris, cependant l’interféron gamma et l’interleukine 2 étaient uniquement augmentés lors de la synergie SP-cocaïne.

Les auteurs ont mesuré l’activation de la microglie (cellule nourricière des neurones) de l’aire tegmen ventrale (ATV), connue pour être impliquée dans les addictions. L’activation avant la prise de cocaïne n’était pas significativement différente entre les souris SP et non SP. Cependant après la prise de cocaïne, une plus grande activation de la microglie de l’ATV était retrouvée chez les souris SP, suggérant une sensibilisation de la microglie des souris-SP pour la cocaïne. Même avant l’administration de cocaïne, les souris SP avait des modifications morphologiques de la microglie (stroma élargi, ramification modifiée) que n’avait pas les souris non SP. Ces changements de la microglie ont, de plus, été constatés immédiatement après la période de SP et uniquement dans l’ATV.

De plus au sein de l’ATV, un impact a été retrouvé sur la sécrétion de dopamine (qui exerce un rétro contrôle négatif de la sécrétion de dopamine via des autorécepteurs D2). Une désensibilisation au rétrocontrôle négatif fut retrouvée chez les souris-SP, pouvant être responsable de cette sur-activation de cette aire lors de la prise de cocaïne. Cependant cette baisse de rétrocontrôle ne serait pas médiée par les autorécepteurs D2, ni par le GABA-B (cible du baclofène) qui étaient fonctionnels.

De ces conclusions les auteurs ont cherché une approche pharmacologique pour prévenir cette activation précoce de la microglie chez les souris SP. Et ils ont trouvé que l’administration d’un antibiotique inhibant l’activation de la microglie (minocycline) lors de la période de SP permettait de restaurer, au même niveau que les contrôles, la sensibilité au rétrocontrôle négatif de la dopamine sur l’ATV, ainsi que les atteintes morphologiques de la microglie. De plus, à l’âge adulte les souris SP ayant reçu le traitement dans leur enfance ne préféraient pas plus le compartiment cocaïne lors de la période de conditionnement. Cet effet ne fonctionnait pas si le traitement était donné chez les souris-SP à l’âge adulte. Cela suggèrerait une « fenêtre de tir » de traitement pour infléchir le sur-risque de trouble d’usage à l’âge adulte.

Concernant l’Humain, les auteurs ont retrouvé une augmentation de l’expression de l’immunité médiée par le TLR4 chez les personnes avec trouble d’usage à la cocaïne comparées à un groupe contrôle. De plus l’expression immunitaire de cette voie TLR4 était d’autant plus forte au sein du groupe de patient avec un trouble d’usage à la cocaïne et ayant subi une maltraitance durant l’enfance.

Cette association d’étude suggère que la sensibilisation à la cocaïne chez des personnes maltraitées durant l’enfance implique le système immunitaire de façon durable. Mais également questionne sur une idée de « fenêtre d’action thérapeutique » consistant à traiter un système à un temps donné, précis pour engendrer un effet thérapeutique pouvant être préventif.  Des études longitudinales chez l’Homme restent cependant nécessaires pour impliquer l’impact étiologique de ces mécanismes immunitaires retrouvés chez l’animal.

 

Par Mikaïl Nourredine
interne en psychiatrie, DESC de pharmacologie
Service Universitaire d’Addictologie de Lyon (SUAL)

& Benjamin Rolland
MCU-PH, Responsable de Service
Service Universitaire d’Addictologie de Lyon (SUAL)

Consulter en ligne