Faut-il vraiment réaliser une surveillance ECG chez les patients sous méthadone ?

En 2012, aux Etats-Unis, le Centers for Disease Control and Prevention mettait en évidence une importante surmortalité cardiaque liée aux opioïdes chez les patients sous méthadone. Il est reconnu que ce traitement est potentiellement associé à un allongement de l’intervalle QTc qui peut provoquer des troubles du rythme ou de la conduction cardiaque pouvant aller jusqu’au décès.

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En 2012, aux Etats-Unis, le Centers for Disease Control and Prevention mettait en évidence une importante surmortalité cardiaque liée aux opioïdes chez les patients sous méthadone. Il est reconnu que ce traitement est potentiellement associé à un allongement de l’intervalle QTc qui peut provoquer des troubles du rythme ou de la conduction cardiaque pouvant aller jusqu’au décès. Deux groupes d’experts distincts avaient toutefois conclu que l’augmentation du nombre de décès associés à la méthadone n’était pas attribuable à son utilisation dans le cadre du traitement d’un trouble lié à l’usage d’opioïdes, mais plutôt à son utilisation moins réglementée dans le contexte du traitement de la douleur. Malgré cela, des recommandations ont été émises dans de nombreux pays pour mettre en place une surveillance cardiologique spécifique lors du traitement par méthadone.

 

Les auteurs de cette étude se questionnent sur l’utilité de telles mesures, car en population générale la littérature ne retrouve pas d’association entre l’intervalle QTc et la mortalité chez les patients n’ayant pas de cardiopathie sous-jacente. Ils se proposent d’évaluer la prévalence et les facteurs associés à l’allongement de l’intervalle QTc dans une population exposée à la méthadone, et d’évaluer le risque de décès cardiaque ou de trouble du rythme dans cette population. Ils ont pour cela réalisé une étude de cohorte rétrospective chez des patients pour lesquels des ECG avaient été réalisés avant l’introduction de méthadone, puis pendant le traitement (groupe ON) ou après son arrêt (groupe OFF).

 

Dans leur article, l’intervalle QTc était significativement plus long dans le groupe des patients ayant réalisé leur ECG sous méthadone (436ms) par rapport à ceux qui n’en prenaient plus (423ms). Parmi ceux qui avaient eu un ECG à la fois en phase ON (sous-groupe bON) et OFF (sous-groupe bOFF), ils retrouvaient un QTC significativement plus allongé dans le groupe bON (440ms) par rapport au groupe bOFF (429ms). Une régression linéaire réalisée chez les patients des groupes ON et bON retrouvait une association significative du QTc avec l’âge et la dose de méthadone.

 

En ce qui concerne les accidents cardiologiques, 18 évènements potentiellement mortels seulement ont été repérés, sois 2.5 pour 1000 sujets/an, ce qui est relativement faible compte tenu du nombre de sujet et de la durée de l’évaluation. La dose de méthadone n’était pas liée au risque de faire un accident cardiaque dans leur étude. Le taux de mortalité cardiaque était quant à lui de 0,42 pour 1000 sujets/an dans leur échantillon contre 1,75 en population générale aux USA. Les patients décédés de cause cardiaque avaient par ailleurs un QTc dans la norme au dernier ECG réalisé.

 

Ils ont enfin montré que malgré l’implication de la méthadone dans l’allongement du QTc, celle-ci restait limitée pour des doses thérapeutiques habituelles (80 à 120mg), et qu’il faudrait par exemple augmenter de 225mg par jour la posologie de méthadone pour qu’une femme ayant un Qtc de base à 420ms dépasse le seuil limite.

 

On peut donc en conclure que le lien entre mortalité cardiaque, allongement du QTc et posologie de méthadone est complexe. La méthadone semble bien favoriser l’allongement du QTc mais la dose n’est pas associée directement à cette modification. Les troubles cardiaques pouvant être associés à l’allongement de l’intervalle QTc ne se sont produits qu’à un taux faible, et les cas de mort cardiaque subite étaient inférieurs à ceux de la population générale. Il semble donc pertinent de réfléchir à l’intérêt du dépistage cardiaque tel qu’il est pratiqué aujourd’hui chez les patients traités par méthadone pour réduire la morbidité et la mortalité dans cette population.

Par Julien Cabé

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