Inégalités socio-économiques croissantes face au tabac chez les adolescents français

Une étude de l’OFDT publiée dans le Journal of Public Health

Tabac

Bien que le processus ait démarré en retard par rapport à d’autres pays occidentaux, la France semble désormais sur le bon chemin vers un déclin historique de l’usage du tabac. Dans ce contexte, la question des adolescents est particulièrement importante. C’est généralement à l’adolescence que l’expérimentation et les premiers usages de tabac se produisent. L’âge d’expérimentation et les trajectoires individuelles entre expérimentation et dépendance sont des paramètres souvent fondamentaux pour expliquer la sévérité de la dépendance et la difficulté à arrêter à l’âge adulte. Les années entre 13 et 18 ans sont donc cruciales pour la prévention et les interventions précoces.

Le présent article a été publié en janvier 2020 dans le « Journal of Public Health ». Il porte sur l’évolution des consommations de tabac chez les adolescents entre 2000 et 2017 en France, en fonction de leur statut socio-économique. Le mode d’installation de la dépendance tabagique, passant d’une consommation occasionnelle d’essai à un tabagisme irrégulier, puis un tabagisme régulier pour finir par l’installation de la dépendance, a conduit les auteurs à s’intéresser plus particulièrement au temps de transition entre ces étapes.

Dans différentes études menées au préalable il semblerait en effet qu’un temps de transition court entre la première consommation tabagique et la dépendance soit prédictif de l’installation d’une dépendance forte. Par ailleurs, l’expansion des consommations tabagiques chez les adolescents dans les années 90 a conduit au développement de politiques de prévention contre le tabagisme dès le début du 21ème siècle qui ont permis une nette diminution des consommations chez les adolescents en France. Le niveau socio-économique chez l’adulte influence également le développement de certaines dépendances, et notamment de la dépendance tabagique. La prévalence de la dépendance au tabac est ainsi plus élevée chez les personnes ayant un niveau socio-économique bas, sur qui les politiques de prévention contre le tabac ont par ailleurs beaucoup moins d’impact.

Au regard de tous ces résultats, cette étude propose d’évaluer entre 2000 et 2017 les variations de la durée du temps de transition entre la première consommation tabagique et l’installation d’une dépendance chez des adolescents français de 17 ans en fonction de leur statut économique. C’est une étude transversale de survie pour laquelle les données de 182266 adolescents ont été récoltées par auto-questionnaire, lors de la journée d’appel à la défense (enquête ESCAPAD). Un certain nombre de questions leurs ont été posées, permettant d’évaluer les consommations tabagiques, telles que l’âge lors de la première consommation tabagique ou le statut de l’adolescent vis-à-vis du tabac au moment de l’enquête (l’adolescent est considéré comme dépendant si la consommation tabagique est d’au moins une cigarette par jour durant les 30 derniers jours). Le statut socio-économique est aussi évalué, en fonction de l’emploi des parents. 4 grades sont définis, allant du « bas niveau socio-économique » (parents sans emploi) au « haut niveau socio-économique » (au moins l’un des deux parents exerçant une profession de cadre). Le genre et les autres consommations toxiques ont également été pris en compte dans l’étude.

Les résultats retrouvent une diminution significative des consommations tabagiques chez les adolescents depuis l’instauration des politiques de prévention dans les années 2000. On note une nette diminution de la prévalence des adolescents ayant déjà fumé à l’âge de 17 ans, passant de 78% en 2000 à 59% en 2017, et une diminution de la prévalence des adolescents dépendant au tabac à l’âge de 17 ans, qui est passé de 41% en 2000 à 25% en 2017. D’autre part, sont également constatées une moyenne d’âge lors de la première consommation plus tardive (13.1 ans en 2000 contre 14,6 ans en 2017) ainsi qu’un recul de la moyenne d’âge lors de l’installation de la dépendance (14.4 ans en 2000 contre 15.1 ans en 2017). L’évolution du temps de transition entre l’âge de la première consommation tabagique et l’âge d’installation de la dépendance a quant à lui beaucoup diminué. Ainsi, alors qu’en 2002 à 1 an de la première expérimentation de cigarette, 55.1% étaient devenus dépendant, en 2017 plus de 72% des adolescents questionnés l’étaient.

Mais les résultats mettent aussi en évidence de nettes disparités socio-économiques chez les jeunes consommateurs de cigarette, puisque les adolescents retrouvés comme ayant un bas niveau socio-économique deviennent plus rapidement dépendants que les adolescents ayant un niveau socio-économique plus élevé (temps moyen respectivement égal à 0.97 et 1.21 ans). Les résultats ne sont cependant pas linéaires au cours du temps puisque cette tendance est retrouvée à partir des années 2000, période à laquelle ont commencé à être diffusées les politiques de prévention contre le tabac. Plusieurs facteurs explicatifs sont évoqués dans l’article, notamment l’impact plus important des politiques de santé chez les adolescents avec un niveau socio-économique élevé, liée en partie à un accès plus facile pour eux à la prévention. Par ailleurs, les politiques de prévention contre le tabac (l’augmentation de l’âge légal à l’achat, l’interdiction de fumer dans les lieux publics, ou l’augmentation du prix du paquet par exemple) ont conduit au développement de nouvelles stratégies marketing afin de soutenir l’industrie du tabac. Ces stratégies impliquent la multiplication des placements de produits tabagiques dans les films, vidéos et à la radio et semblent préférentiellement renforcer les consommations chez les adolescents avec un bas niveau socio-économique. L’industrie du tabac a également développé de nouveau produits, avec notamment des visuels plus attractifs et la proposition de nouvelles saveurs, ciblant essentiellement les populations ayant un niveau socio-économique plus bas. Les perspectives de l’étude mettent ainsi en évidence la nécessiter de créer de nouvelles politiques de prévention s’adressant à cette tranche de la population.

L’étude comporte certaines limites, comme l’absence d’évaluation de certains facteurs pouvant avoir un impact sur les consommations tabagiques des adolescents : le statut des parents vis-à-vis du tabac et les consommations de tabac dans l’entourage proche (frères, sœurs, amis), les données sur le caractère ou l’état de santé mentale des adolescents, ou encore la recherche d’évènements de vie pouvant précipiter ou limiter l’installation d’une dépendance. L’autre biais rapporté dans l’article est l’évaluation peu fiable du statut socio-économiques des parents, du fait des difficultés de recueillir précisément leur revenu auprès des adolescents qui n’en ont que peu souvent connaissance.

 

Léa GUYOT, interne en psychiatrie à Lyon

Benjamin ROLLAND

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