Intérêts et limites de l’intelligence artificielle en addictologie

intelligence artificielle (IA) pourrait-elle aider à mieux comprendre ces tableaux cliniques complexes, en tout cas à ne pas oublier des éléments cliniques ou paracliniques importants hors des champs de compétence habituels de l’examinateur ?

Toutes les addictions

En Addictologie, les patients présentent des situations cliniques très complexes, aujourd’hui difficiles à appréhender par un seul médecin d’une seule spécialité : complications somatiques multiples, troubles cognitifs (environ 80% les patients alcoolodépendants), addictions associées, notamment tabagisme, comorbidités psychiatriques et troubles de personnalité également fréquents (environ 40% des patients alcoolodépendants, environ 60% des patients dépendants aux drogues dans l’étude NESARC), situations sociales complexes. Ils reçoivent en outre très fréquemment des traitements psychotropes. L’intelligence artificielle (IA) pourrait-elle aider à mieux comprendre ces tableaux cliniques complexes, en tout cas à ne pas oublier des éléments cliniques ou paracliniques importants hors des champs de compétence habituels de l’examinateur ?

 

Intérêt de l’intelligence artificielle

Plusieurs études ont suggéré que l’IA était plus efficace dans l’aide à la décision en oncologie ou en imagerie médicale que le raisonnement humain. Dans les services d’Urgences, certaines études ont suggéré que l’IA pourrait se montrer supérieure au raisonnement humain (Stewart et al. 2018). En psychiatrie, certaines études d’imagerie ont pu, par exemple, différencier schizophrénie et troubles bipolaires en imagerie par résonance magnétique (IRM) avec une précision de 88% (Schnack et al. 2014). Une étude récente a montré que l’IA pouvait prédire l’existence d’alcoolodépendance et les niveaux de consommation cumulée d’alcool sur les données de l’imagerie par IRM avec autant de précision que des radiologues (Guggenmos et al. 2018). Les études d’IA les plus avancées nécessitent que les addictologues travaillent avec d’autres professionnels, notamment des informaticiens et des mathématiciens.

Les limites de l’IA

  • Tous les spécialistes sont d’accord pour reconnaitre que la machine ne pourra pas remplacer l’homme qui reste indispensable pour l’analyse des données. Tout le monde a aussi peur que les machines échappent à l’homme, et au minimum, à juste titre, que la confidentialité et l’utilisation des données personnelles des individus ne soit pas respectée. Celles-ci doivent être garanties, ce qui est loin d’être le cas actuellement.
  • L’IA, notamment en imagerie cérébrale nécessitent d’analyser des dizaines de milliers de cas (Deep learning), ce qui nécessite des hébergeurs fiables avec une sécurité suffisante.
  • L’IA peut se tromper, autrement dit, l’utilisation d’algorithmes n’est pas toujours sensible et/ou spécifique. Par exemple, lors de la coupe du monde 2018 de football, l’IA s’est trompée sur toute la ligne. Aucun acteur du big data n’a su deviner les deux équipes finalistes de la Coupe du monde. Un exemple en addictologie est l’étude récente de Martin et al. sur un algorithme du sevrage à l’alcool dans le DSM-5 qui n’a pas retrouvé de spécificité ni de sensibilité suffisante (Martin et al. 2018).
  • La supériorité des géants du numérique GAFA (Google, Apple, Facebook, Amazon) et des BATX chinois (Baidu, Alibaba, Tencent, Xiaomi) peut les placer en position de quasi-monopole.
  • L’IA peut alourdir la charge cognitive des cliniciens, alors qu’elle est censée alléger (Maddox et al. 2019).

 

Dervaux A. Évaluation d’un patient alcoolodépendant : l’intelligence artificielle peut-elle avoir un intérêt ? Presse Med. 2018;47(7-8 Pt 1):640-642.

 

Alain Dervaux (1,2,3,4)

  1. Service de Psychiatrie et d’Addictologie de liaison. CHU, 80054 Amiens Cedex.
  1. Unité INSERM 1247 Groupe de Recherche sur l’Alcool et les Pharmacodépendances (GRAP, Pr M. Naassila) Amiens.
  2. Inserm, Laboratoire de Physiopathologie des maladies Psychiatriques, UMR_S1266 Institut de Psychiatrie et Neurosciences de Paris (Pr MO Krebs), Université Paris Descartes, Paris, France.
  1. Institut de Psychiatrie (CNRS GDR 3557), Paris, France.