La co-consommation de tabac et de cannabis est associée à une moindre activité du système endocannabinoïde, qui nuit à la plasticité cérébrale.

Une étude publiée dans Drug and Alcohol Dependence Reports.

Cannabis
La co-consommation de tabac et de cannabis est associée à une moindre activité du système encannabinoïde qui nuit à la plasticité cérébrale

Introduction

En 2020, lors d’un congrès à Barcelone où le Dr Philippe Arvers présentait l’étude sur le rôle des omega-3 dans la régulation émotionnelle1, ses collègues Robert McNamara et Kuan-Pin Su insistèrent sur le rôle essentiel des omega-3 en santé mentale : la carence en omega-3 réduit la connectivité des réseaux neuronaux qui régulent les émotions, et est associée aux états dépressifs majeurs. Les omega-3 alimentaires (principalement l’ALA, l’EPA et le DHA) ne servent pas uniquement à fabriquer des membranes cellulaires : ils sont aussi des précurseurs d’endocannabinoïdes. Ils modulent la communication entre neurones : ils ne « construisent » pas directement des connexions mais règlent l’intensité et la plasticité des circuits. Ils ont également un rôle important dans l’activité de la microglie, acteur central du remodelage des circuits neuronaux tout au long de la vie.

Le système endocannabinoïde (eCB) est un important réseau de modulation du cerveau. Ce système est constitué d’eCB circulants naturels, tels que l’anandamide (Arachidonyl ethanolamide) et le 2AG (2 Arachidonyl glycerol). L’anandamide est dégradé par l’enzyme hydrolase des amides d’acides gras (FAAH) en éthanolamine et en acide arachidonique1. La FAAH est importante car elle maintient l’équilibre des niveaux d’anandamide2, et des niveaux plus faibles d’anandamide ont été associés à une augmentation des symptômes cliniques et au développement de troubles psychiatriques3. D’autres études ont montré l’impact d’une consommation fréquente de cannabis sur la santé mentale, en particulier chez les adolescents et les jeunes adultes4, périodes durant lesquelles les individus peuvent être plus susceptibles de développer une psychopathologie déclenchée par la consommation de cannabis (par exemple, dépression, anxiété, psychose et idées suicidaires)5.

Dans les populations cliniques, la consommation de cannabis a été associée à de faibles concentrations plasmatiques d’anandamide6. De plus, une consommation fréquente de cannabis a été associée à des concentrations d’anandamide plus faibles dans le liquide céphalo-rachidien comparativement à une consommation occasionnelle. La consommation chronique de cannabis a également été associée à des modifications des concentrations cérébrales de FAAH et d’endocannabinoïdes circulants par rapport aux non-consommateurs7.

Considérées ensemble, la consommation de cannabis et la consommation de tabac seuls ont été associées à des altérations du système endocannabinoïde, notamment une diminution des taux d’anandamide, pouvant refléter des concentrations plus élevées de FAAH.

Objectifs de l’étude

Compte tenu de l’augmentation des taux de consommation conjointe de tabac et cannabis aux USA entre 2002 et 20218et des preuves de plus en plus nombreuses liant cette consommation conjointe à des conséquences plus graves sur la santé mentale comparativement à la consommation de chaque substance seule, Rachel Rabin et collaborateurs (Université McGill, Montreal, Québec) ont cherché à déterminer si la consommation conjointe exacerbe la dysrégulation du système endocannabinoïde au-delà de ce qui est observé avec la consommation de cannabis seul.

Méthodologie

Les auteurs ont donc testé si la co-consommation de tabac augmente les niveaux de FAAH au-delà de ceux associés à la seule consommation de cannabis. Les participants consommateurs de cannabis (N = 13) ont été répartis en individus ayant une consommation quotidienne de tabac (CT, n = 5) et sans consommation actuelle de tabac (CAN, n = 8).

Ils ont alors évalué les différences de groupe dans la FAAH, quantifiée à l’aide de la tomographie par émission de positons et du [¹¹C]CURB, en contrôlant le sexe et le génotype FAAH dans le cortex préfrontal, l’hippocampe, le thalamus, le striatum sensorimoteur, la substance noire et le cervelet.

Résultats

Une interaction significative groupe × région d’intérêt (ROI) pour le λk3 du [¹¹C]CURB [F(5, 45)= 3,15, p = 0,016] a émergé. Les tests post-hoc corrigés selon Bonferroni ont indiqué des niveaux plus élevés de FAAH chez les co-consommateurs de cannabis et de tabac par rapport aux consommateurs exclusifs de cannabis dans la substance noire (p = 0,023, d = 1,54) et le cervelet (p = 0,003, d = 1,76), tandis qu’une tendance est apparue dans le striatum sensorimoteur (p = 0,054, d = 1,33).

Les résultats préliminaires suggèrent que la co-consommation de tabac est associée à une activité FAAH accrue par rapport à la consommation exclusive de cannabis, ce qui pourrait sous-tendre les moins bons résultats cliniques liés à la co-consommation.

Conclusions

Cette étude montre que fumer du cannabis (phytocannabinoïdes) avec du tabac (mode de consommation le plus fréquent en France)  va interférer avec le système endocannabinoïde nécessaire à la maturation cérébrale. Les cannabinoïdes endogènes peuvent réguler les états d’anxiété et dépression, le développement cérébral, l’apprentissage et la mémoire, le contrôle de l’appétit ainsi que le contrôle de l’accoutumance (site www.stop-cannabis.ch).

Il est donc nécessaire de repousser le plus tard possible l’expérimentation de cannabis.

Références bibliographiques

1 Ueda N, Puffenbarger RA, Yamamoto S et Deutsch DG. (2000). The fatty acid amide hydrolase (FAAH). Chemistry and physics of lipids, 108(1-2), 107-121.
2 Di Marzo, V. (2011). Endocannabinoid signaling in the brain: biosynthetic mechanisms in the limelight. Nature neuroscience, 14(1), 9-15.
3 Garani R, Watts J J, et Mizrahi R. (2021). Endocannabinoid system in psychotic and mood disorders, a review of human studies. Progress in Neuro-Psychopharmacology and Biological Psychiatry, 106, 110096.
4 Lorenzetti V, Hoch E et Hall W. (2020). Adolescent cannabis use, cognition, brain health and educational outcomes: A review of the evidence. European Neuropsychopharmacology, 36, 169-180.
5 Lowe DJ, Sorkhou M et George TP. (2024). Cannabis use in adolescents and anxiety symptoms and disorders: a systematic review and meta-analysis. The American Journal of Drug and Alcohol Abuse, 50(2), 150-161.
6 Nia AB, Gibson C, Spriggs S, DeFrancisco D et al. (2023). 155. Cannabis Use is Associated With Low Plasma Endocannabinoid Anandamide in Individuals With Psychosis. Biological Psychiatry, 93(9), S156-S157.
7 Jacobson MR, Watts JJ, Da Silva T, Tyndale RF et al. (2021). Fatty acid amide hydrolase is lower in young cannabis users. Addiction biology, 26(1), e12872.
8 Rubenstein D, McClernon FJ et Pacek LR. (2024). Trends in cannabis and tobacco co-use in the United States, 2002–2021. Addictive Behaviors, 158, 108129.

Dr Philippe Arvers (1,2,3)

1 – Observatoire Territorial des Conduites à Risques de l’Adolescent (MSH-UGA)

2 – 7ème Centre Médical des Armées (76ème Antenne médicale de Varces)

3 – Institut Rhône Alpes Auvergne de Tabacologie (Lyon)

 

En savoir plus : A preliminary investigation of tobacco co-use on endocannabinoid activity in people with cannabis use – ScienceDirect