La thérapie interpersonnelle (TIP) dans les addictions : état des lieux

La thérapie interpersonnelle (abrégée en « TIP »), est une approche psychothérapeutique née à l’université de Yale en 1969. Créé initialement comme une psychothérapie placebo dans le cadre d’une étude clinique comparant efficacité de l’amitriptyline, seule et avec psychothérapie «efficace » dans l’épisode dépressif caractérisé. Si son efficacité est reconnue dans les TCA, son apport est discuté dans les addicitons. 

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Charlotte Simon, interne en psychiatrie, Lyon

Dr Benjamin ROLLAND & Dr Christophe ICARD, SUAL, Lyon

La thérapie interpersonnelle (abrégée en « TIP »), est une approche psychothérapeutique née à l’université de Yale en 1969. Créé initialement comme une psychothérapie placebo dans le cadre d’une étude clinique comparant efficacité de l’amitriptyline, seule et avec psychothérapie «efficace » dans l’épisode dépressif caractérisé, elle a ensuite été développée par Brigitte Prusoff (biostatistienne), Myrna Weissman (travailleuse sociale), Gerald Klermanet et Eugene Paykel (tous deux psychiatres). En effet, en se concentrant sur une psychothérapie brève, standardisée, centrée sur l’amélioration de la qualité de fonctionnement interpersonnel actuel du patient dépressif (ajustement social et relations interpersonnelles proches) et en évitant toute action technique dite thérapeutique (par exemple la prescription de tâches), il s’est avéré que le bénéfice thérapeutique obtenu était au moins égal aux autres psychothérapies dans le cadre de l’épisode dépressif caractérisé.

A partir de ce résultat, les concepts de la TIP ont été théorisés, en s’appuyant principalement sur l’idée d’une inter-relation entre état dépressif et dysfonctions relationnelles, et de nombreuses études ont été réalisées pour vérifier son application.

La forme actuelle de la TIP est donc une psychothérapie limitée dans le temps (en moyenne 12 séances, à raison d’une séance par semaine), centrée sur le présent, avec un thérapeute actif, empathique et positif. Elle utilise l’exploration et la clarification des affects dans les relations interpersonnelles, l’analyse décisionnelle, l’analyse de communication, les jeux de rôle… Elle se sert des relations interpersonnelles comme ressource à part entière, dans le but d’atteindre un objectif fixé par le patient. A partir de l’anamnèse, de la définition du type d’attachement et fréquemment de la réalisation d’un cercle interpersonnel [annexe A], 4 domaines de travail sont définis : le deuil, les conflits interpersonnels, la transition de rôle et le déficit interpersonnel. La thérapie se découpe alors en une phase initiale commune, une phase intermédiaire spécifique (en fonction du domaine de travail) et une phase terminale commune.

 

Initialement conçue dans le cadre de l’épisode dépressif caractérisé, les applications de la TIP ont progressivement évolué. Ont été ainsi modélisées et approuvées (citées dans les recommandations internationales) des psychothérapies TIP spécifiques aux troubles bipolaires de type I et II, aux problématiques adolescentes, de la femme enceinte (et post partum), de la personne âgée par exemple. On s’intéressera ici, dans un premier temps, à l’application aux troubles du comportement alimentaire.

Une revue de littérature [1] a été publiée en 2018 dans le journal Psychology Research and Behavior Management. 15 articles ont répondu aux critères d’inclusion, et les auteurs après analyse en tirent les conclusions suivantes : pas de différence significative entre TIP et thérapie cognitivo-comportementale (abrégée en TCC) en tant que monothérapie dans l’anorexie ; moindre efficacité de la TIP par rapport à la TCC en monothérapie dans la boulimie ; dans le cadre de la boulimie, si rémission avec la TIP, durée de la rémission plus longue ; dans le cadre de la boulimie, TIP et TCC montrent une efficacité similaire dans le moyen/long terme ; la TIP amène à des améliorations cliniques plus tardives, mais tend à maintenir une efficacité sur le long terme ; dans le cadre des accès hyperphagiques, l’abstinence est obtenue et maintenue dans le temps avec une approche TIP groupale.

Il apparait donc que la TIP pourrait être une approche raisonnable tant sur le plan efficacité que coût économique pour l’ensemble du spectre des troubles du comportement alimentaire.

Elizabeth Rieger proposait en 2010 une modélisation de TIP spécifique « IPT-ED », en théorisant qu’une évaluation sociale négative (perception négative de sa valeur aux yeux d’un individu ou groupe d’individus) jouait un rôle pivot à la fois en tant que cause et conséquence des troubles du comportement alimentaire.

La TIP de groupe apparait dans les recommandations internationales pour les femmes présentant un trouble du comportement alimentaire de type boulimie associé à une obésité.

 

Dans le cadre des addictions (autre que les troubles du comportement alimentaire), les applications de la TIP sont encore au stade d’étude.

La TIP dans le trouble d’usage de substances a été initialement marquée par un résultat négatif dans le cadre de l’addiction à la cocaïne. Bruce Rounsaville, un des premiers développeurs de la TIP, avait retrouvé une efficacité moindre de cette dernière par rapport aux autres psychothérapies efficaces (dans les années 80).

En 2013 a été publié dans le journal Substance Abuse une étude pilote sur la TIP chez des femmes présentant un trouble de l’usage de l’alcool et un épisode dépressif caractérisé comorbide.» dans le journal Substance Abuse. L’approche est donc plutôt le traitement de la comorbidité dépressive associée, afin d’obtenir de meilleurs résultats dans le traitement de l’addiction. Cette étude de très petite amplitude cherche à tester la faisabilité, l’acceptabilité et les effets initiaux de la TIP. Elle évalue les comportements d’usage d’alcool, les symptômes dépressifs, le fonctionnement interpersonnel à 8,16, 24 et 32 semaines en comparaison avec l’entrée dans l’étude. Les chercheurs trouvent une amélioration dans ces trois domaines.

Une étude exploratoire [4] relativement similaire trouvait des résultats en faveur d’une amélioration des symptômes dépressifs associés à un trouble de l’usage de l’alcool, sans amélioration des conduites addictives stricto sensu (nécessité d’une prise en charge addictologique concomitante).

Un modèle de TIP « hybride » (ajout de concepts importés d’autre approches thérapeutiques) a été aussi créé aux Etats-Unis pour les femmes en prison présentant un épisode dépressif caractérisé et un trouble de l’usage de substance. Ce modèle a été validé au cours de l’emprisonnement et lors de la sortie (travail sur la transition de rôle).

 

On pourrait donc imaginer pour le moment une utilisation de la TIP comme traitement potentialisateur de la prise en charge addictologique.

Son coût faible, son accessibilité sur le plan cognitif, son adaptabilité pratique (Ellen Frank donne l’exemple de patients très précaires, voir sans domicile, pour qui l’approche TCC ne trouvait pas d’application, qui ont pu bénéficier de TIP avec succès), son innocuité (les effets négatifs de la TIP ont été montré inférieur à ceux des TCC, des antidépresseurs, et même du placebo dans le cadre de la dépression) semble en tous cas en faire une bonne candidate pour le domaine de l’addictologie, mais une littérature bien plus fournie et bien conduite est nécessaire pour conclure à son efficacité.

 

Sources bibliographiques

  • [1] Miniati, Callari, Maglio, Calugi. « Interpersonal psychotherapy for eating disorders: current perspectives ». Psychol Res Behav Manag. 2018 Sep 5;
  • [2] Rieger et al. « An eating disorder-specific model of interpersonal psychotherapy (IPT-ED) : causal pathways and treatment implications ». Clinical Psychology Review. 2010.
  • [3] Gamble SA1, Talbot NL, Cashman-Brown SM, He H, Poleshuck EL, Connors GJ, Conner KR. « A pilot study of interpersonal psychotherapy for alcohol-dependent women with co-occurring major depression ». Subst Abus. 2013;34(3):233-41.
  • [4] Markowitz JC, Kocsis JH, Christos P, Bleiberg K, Carlin A. « Pilot study of interpersonal psychotherapy versus supportive psychotherapy for dysthymic patients with secondary alcohol abuse or dependence. » J Nerv Ment Dis. 2008 Jun; 196(6):468-74.
  • Frank, Ellen et al. “Is Interpersonal Psychotherapy Infinitely Adaptable? A Compendium of the Multiple Modifications of IPT” American journal of psychotherapy vol. 68,4 (2014): 385-416.
  • Lambert Mj, Bergin Ae. « The Effectivenessof Psychotherapy » In BERGIN AE & GARFIELS SL (Eds): Handbookof Psychotherapyand BehaviorChange, 1994, 4th Ed, p 177, pp189, WyleyEd, New York