Le Pr Neal Benowitz vient de publier dans le Journal of Clinical Pharmacology un article sur la pharmacologie clinique des systèmes électroniques de délivrance de nicotine (SEDN) et leur place dans la promotion de la fin du tabac brûlé (combustion toxique). Cet article comprend 5 parties :
- historique des SEDN,
- pharmacologie de la nicotine,
- évolution du matériel (vape et tabac chauffé),
- place de la vape dans l’aide au sevrage tabagique et dans la réduction des risques,
- risques pour la santé avec la vape.
Voici quelques points qui me semblent importants à repréciser, car ils ont leur importance chez les fumeurs de tabac, et ceux qui passent ensuite à la vape.
Le tabac contient de la nicotine base (pH = 8), et on sait que cela va entraîner de l’irritation ; le recours à un acide (acide benzoïque, par exemple) permet d’avoir de la nicotine avec un pH proche de 5, comme la nicotine naturelle. UN double intérêt : beaucoup moins d’irritation, et une meilleure inhalation et donc une meilleure absorption.
La demi-vie de la nicotine est courte, 2 heures, et un fumeur régulier va enchaîner les cigarettes les unes après les autres pour ne pas être en manque de nicotine. Ainsi, il y aura un plateau pendant 6 à 9h de nicotine dans le sang, pendant la journée, apprécié par le fumeur de tabac.
Neil Benowitz nous rappelle qu’une cigarette de tabac contient 10 à 15 mg de nicotine, dont seulement 10% (soit 1 à 1,5 mg) sera absorbé et passera dans le sang ; une grande partie sera exhalée (courant secondaire) participant au tabagisme passif.
Avec la vape, c’est 90% de la nicotine qui est inhalée, et la délivrance de nicotine dépend aussi du ratio Propylène Glycol (PG)/Glycérine Végétale (GV), ainsi que de la puissance et de la résistance de la vapoteuse. Avec un fort taux de nicotine et un faible voltage, il y a aura peu d’aérosol produit, et peu de nicotine exhalée.
Avec la vape, on rappelle l’absence de combustion, et donc l’absence de monoxyde de carbone (CO) ; cependant, attention si l’on utilise un haut-voltage (1, 2), à la présence de formaldéhyde (cancérogène) et d’acroléine (irritant).
Revenons quelques instants au ratio PG/VG, qui doit bien être connu des futurs vapoteurs, et que maîtrisent bien les vapoteurs expérimentés.
- Avec un taux élevé de PG, et des résistances avec des entrées étroites, le volume de vapeur sera modéré, cette vapeur sera plus fluide, adaptée aux débutants ; cela permettra d’avoir un taux plus élevé de nicotine utilisable, et de retrouver cette sensation, le « throat hit » cher aux fumeurs de tabac.
- Avec un taux élevé de GV, et des résistances à entrées larges, il y aura de gros nuages de vapeur épaisse ; cela donne de la rondeur également.
Quelle place accorder à la vape dans l’aide au sevrage tabagique, et aussi dans la réduction de risques pour la santé ?
Ceux qui arrêtent de fumer seuls et utilisent la vape ont un taux d’abstinence (sevrage tabagique) supérieur à ceux qui ont recours aux traitements de substitution nicotinique ou qui ne prennent rien pour arrêter de fumer (3)
On observe par ailleurs une augmentation de la prévalence du recours à la vape associée à une augmentation du taux d’abstinence (sevrage tabagique) dans une étude longitudinale (4).
Le vapo-fumage n’est pas une solution bénéfique pour la santé, alors que le passage à la vape représente une réduction des risques en raison de l’absence de CO et d’une quantité moindre de substances cancérogènes et irritantes.
Neal Benowitz précise que « la vape est beaucoup moins nocive que le tabac, mais pas sans risque ». De plus, il est difficile d’évaluer les effets car la grande majorité des vapoteurs sont d’anciens fumeurs de tabac ou des vapo-fumeurs.
En ce qui concerne les maladies cardio-vasculaires, il y a peu d’études épidémiologiques sur les effets à long terme de la vape ; rappelons la rétractation de la publication de Glantz et al. en 2020 « Electronic Cigarette Use and Myocardial Infarction Among Adults in the US Population Assessment of Tobacco and Health » qui avait oublié de préciser que la survenue de l’infarctus du myocarde était antérieure au passage à la vape.
Par contre, les études sont nombreuses pour montrer les bénéfices de l’arrêt du tabac, en passant à la vape : en particulier, la pression artérielle diminue de manière durable (5).
En ce qui concerne les maladies broncho-pulmonaires, il existe une relation positive entre le recours à la vape et la BPCO (maladie autorapportée, non vérifiée), surtout chez les vapo-fumeurs, ainsi qu’une augmentation du risque de l’exacerbation de l’asthme chez les jeunes qui pourrait exister.
Ce qui est sûr encore, comme pour les maladies cardio-vasculaires, c’est le bénéfice d’arrêter de fumer en passant à la vape, pour les infections pulmonaires tout comme pour les crises de BPCO (6, 7).
Quant au vapotage chez les jeunes, une mise au point : ce n’est pas la porte d’entrée dans le tabagisme, c’est un fait observé et vérifié. Cela concerne de jeunes fumeurs ou ex-fumeurs qui ont arrêté de fumer grâce à la vape.
La dernière partie est consacrée aux implications de ces dispositifs pour la santé publique : « si les fumeurs utilisent la vape pour arrêter de fumer, même s’ils continuent ensuite à vapoter, on s’attend à un énorme bénéfice en termes de santé publique » écrit le Pr Benowitz. Il y a plus de 25 ans, il a avait proposé de baisser le taux de nicotine dans les cigarettes, pensant que cela entraînerait une diminution du nombre de personnes dépendantes pharmacologiquement du tabac. La FDA a repris cette proposition en 2018, mais nous savons très bien que le phénomène d’autotitration conduit à inhaler plus et plus longtemps de fumée, afin d’avoir « sa dose » de nicotine.
Il constate l’intérêt des sels de nicotine chez les fumeurs réguliers, fortement dépendants de la nicotine : « de la nicotine à haute concentration, avec un petit volume d’aérosol, généré à basse température ».
Références bibliographiques
1 Talih S, Balhas Z, Salman R, Karaoghlanian N, Shihadeh A. “Direct dripping”: a high-temperature, high-formaldehyde emission electronic cigarette use method. Nicotine Tob Res. 2016;18(4):453-459.
2 Barrington-Trimis JL, Leventhal AM. Adolescents’ use of “pod mod” e-cigarettes – urgent concerns. N Engl J Med. 2018;379(12):1099-1102.
3 Brown J, Beard E, Kotz D, Michie S, West R. Real-world effectiveness of e-cigarettes when used to aid smoking cessation: a cross-sectional population study. Addiction. 2014;109(9):1531-1540.
4 Beard E, West R, Michie S, Brown J. Association of prevalence of electronic cigarette use with smoking cessation and cigarette consumption in England: a time-series analysis between 2006 and 2017. Addiction. 2020;115(5):961-974.
5 Farsalinos K, Cibella F, Caponnetto P, et al. Effect of continuous smoking reduction and abstinence on blood pressure and heart rate in smokers switching to electronic cigarettes. Intern Emerg Med. 2016;11(1):85-94.
6 Polosa R, Morjaria JB, Caponnetto P, et al. Evidence for harm reduction in COPD smokers who switch to electronic cigarettes. Respir Res. 2016;17(1):166.
7 Polosa R, Morjaria J, Prosperini U, et al. Health effects in COPD smokers who switch to electronic cigarettes: a retrospective-prospective 3-year follow-up. Int J Chron Obstruct Pulmon Dis. 2018;13:2533–2542. https://doi.org/10.2147/copd.s161138
Dr Philippe Arvers (1,2,3)
1 – Observatoire Territorial des Conduites à Risques de l’Adolescent (MSH-UGA)
2 – 7ème Centre Médical des Armées (Antennes de Varces et Chambéry)
3 – Institut Rhône Alpes Auvergne de Tabacologie (Lyon)