Le niveau d’usage de buprénorphine illicite serait inversement corrélé au risque d’overdose à l’héroïne chez les usagers d’opioïdes

Une étude de Robert G.Carlson, Raminta Daniulaityte, Sydney M .Silverstein, Ramzi W.Nahhasc, Silvia S.Martins dans International Journal of Drug Policy

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La mort par overdose est la principale et la plus crainte des complications chez les usagers d’opioïdes. Ce risque peut être augmenté lors de situations de reprise d’opioïdes, comme par exemple après une sortie de prison, ou bien même lors de l’introduction de méthadone, notamment en l’absence de surveillance et d’information adéquates des patients. L’utilisation de la buprénorphine expose beaucoup moins à ce risque, car elle agit comme agoniste partiel sur le récepteur mu, c’est-à-dire qu’elle cesse d’agir davantage au-delà d’une certaine dose (effet plateau). Le revers de la médaille est que la buprénorphine peut beaucoup plus facilement être détournée, et faire l’objet d’usages sniffé, fumé, ou injecté, avec des risques spécifiques liés à ces usages, en particulier pour l’injection. Pour cette raison, de nombreux pays sont très attentifs à limiter le marché noir de la buprénorphine, qui concernerait en moyenne 20% des comprimés utilisés. A noter que la revente illicite de buprénorphine n’est pas forcément synonyme de mésusage, car certains usagers utilisent la buprénorphine « sauvage » comme un traitement de recours ponctuel, ou bien si l’accès aux soins est difficile, quelle qu’en soit la raison.

Souvent, les politiques d’accès aux traitements agonistes opioïdes (buprénorphine et méthadone) sont un compromis entre facilitation de l’accès (pour éviter les conséquences de l’usage d’héroïne, notamment les overdoses), et encadrement de l’accès (pour limiter notamment le détournement de la buprénorphine). La France, par exemple, a plutôt choisi jusqu’à présent un accès facilité à la buprénorphine, avec primo-prescription chez les médecins généralistes. Mais y aurait-il un lien entre marché noir de buprénorphine et risque d’overdose ? L’utilisation de buprénorphine illicite aurait-elle notamment un effet protecteur sur le risque d’overdose ? C’est cette hypothèse provocatrice que les auteurs américains de cette publication ont voulu tester à travers une enquête chez plus de 350 usagers d’opioïdes. Les participants devaient notamment rapporter leurs antécédents récents d’overdose, ainsi que leur fréquence d’utilisation de buprénorphine achetée au marché noir.

Les résultats montrent que 27% des participants rapportent avoir eu au moins un épisode d’overdose dans les six mois précédents. Après ajustement par de possibles variables confondantes, la fréquence d’utilisation de buprénorphine illicite était significativement associée à un risque d’overdose plus faible (aOR=0,81 ; IC95%=0,66-0,98). Ce type d’étude ne permet pas d’établir un rapport de causalité mais suggère que la prise illicite de buprénorphine pourrait limiter le risque d’overdose, à travers tout un tas de mécanismes potentiels, non explorés dans cette étude, mais qui pourraient notamment être la protection apportée par l’effet agoniste partiel de la buprénorphine, un niveau de craving ou de sevrage plus limité, ou une stabilité psychologique globale plus importante. Attention tout de même à ces résultats préliminaires, qui montrent une taille d’effet relativement limitée (réduction du risque d’overdose de 19%, avec un intervalle de confiance assez large), et nécessiteront validation à travers d’autres études. Si la confirmation est apportée par la suite, cela voudra dire qu’il faudra intégrer le marché noir de la buprénorphine comme un paramètre de l’équation complexe qui définit le niveau de risque d’overdose global, au sein de la population d’usagers d’opioïdes d’un pays donné.

Benjamin Rolland

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