Depuis 1 an ½, le COVID et les conséquences sociétales qu’il a entraîné ont sans cesse bouleversé les habitudes quotidiennes, dans quasiment tous les pays du monde. L’équipe d’addictologie de l’hôpital parisien Louis Mourier (Dr Jasmina Mallet, et Pr Yann le Strat et Caroline Dubertret) ont réalisé une revue de littérature destinée à mieux comprendre l’impact du COVID sur les addictions, mais aussi l’impact des addictions sur le risque de COVID, notamment sa gravité. L’article est paru dans Progress in Neuropsychopharmacology & Biological Psychiatry (PNBP, Impact Factor 5.067). PubMed a été choisi comme moteur pour la recherche documentaire. Les auteurs ont utilisé tous les noms du syndrome respiratoire aigu sévère du coronavirus 2 (SRAS-CoV2), le nom de la maladie coronavirus 2019 (COVID-19), et des noms liés aux addictions (« dépendances », « stimulants », « jeu », « crack » et « cocaïne »).
Pour ce qui concerne l’alcool et les risques de COVID, les études analysées par les auteurs ont trouvé que les buveurs excessifs, c.à.d. ceux qui dépassaient 20 à 60 g/jour d’alcool pur étaient à risque accru d’infection. Pour ce qui est de l’impact du COVID sur les usages d’alcool, une enquête chinoise en ligne portant sur 1074 personnes pendant le confinement a montré des taux plus élevés d’anxiété, de dépression, de consommation d’alcool dangereuse et nocive (évaluée avec l’AUDIT), et un plus faible bien-être mental. Après le confinement, une étude menée trois ans après l’éclosion du SRAS en 2003 a identifié comme facteurs distincts de la quarantaine, les symptômes du stress post-traumatique, la dépression et l’utilisation de la consommation d’alcool comme méthode d’adaptation (Rolland et coll., 2020). Ce qui suppose que nous pourrions nous attendre à des effets importants de la pandémie covid-19 au cours de la prochaine décennie.
Pour ce qui concerne le tabac, une grande méta-analyse réalisée auprès de 11 590 patients atteints de COVID-19 a montré une association significative entre le tabagisme et la progression du COVID-19, avec un risque quasiment double de COVID sévère (OR 1,91 ; p = 0,001) (Patanavanich et Glantz, 2020). Cette association serait liée à l’action néfaste du tabac sur le système immunitaire et les lésions pulmonaires directes responsable de la gravité de la réponse inflammatoire associée au COVID-19 (Ab et coll., 2020). Concernant l’impact du COVID et des confinements sur l’usage de tabac, en France, une vaste enquête en ligne pendant le 1er confinement a identifié comme principaux facteurs en cause de cette augmentation, le sexe féminin, un niveau d’éducation intermédiaire/faible, et le fait de travailler toujours sur le lieu de travail (Rolland et coll., 2020). Après le confinement, l’hypothèse qu’une augmentation de la consommation du tabac liée à l’interaction sociale et à la rechute des anciens fumeurs (Lanctot et coll., 2008) peut être possible.
Les personnes atteintes de troubles liés à l’usage d’opioïdes (OUD), sont plus vulnérables à une mauvaise santé et à une détresse mentale (Dim et coll., 2020). Récemment, trois mécanismes biologiques plausibles pour des résultats potentiellement aggravés par les opioïdes ont été suggérés : dépression respiratoire, modulation immunitaire complexe des opioïdes, et interactions médicament-médicament en raison d’effets indésirables cardiaques (Schimmel et Manini, 2020). Après le confinement, les experts prévoient un risque accru de morbidité et de mortalité par surdose (Leppla et Gross, 2020; Moe et Buxton, 2020).
Concernant le cannabis, deux enquêtes électroniques canadienne (Dumas et coll., 2020) et française (Rolland et coll., 2020) ont fait état d’une augmentation de la consommation et de vente (sur darknet) de cannabis (et d’alcool), contrairement à d’autres substances. Certains éditoriaux ont mentionné que le THC a un risque accru au COVID-19. Ce risque serait lié à des lésions pulmonaires (Volkow, 2020). Les auteurs ont émis l’hypothèse que les stimulants (cocaïne, crack) pourraient accroître la vulnérabilité au COVID-19 par des effets cardio-vasculaires et une plus grande inflammation et des dommages aux tissus pulmonaires (Marsden et coll., 2020). Après le confinement, l’augmentation de l’utilisation est probable, en raison de l’accessibilité accrue.
Concernant le risque de jeu pathologique, tous les travaux montrent un risque accru d’initiation ou d’exacerbation du jeu pendant le confinement (Marsden et coll., 2020). Ce risque est influencé par la distanciation spatiale et les facteurs de stress liés aux changements sur les marchés du jeu pendant la pandémie (Håkansson et coll., 2020).
En résumé, dans l’ensemble, les patients avec addiction semblent avoir un risque accru d’infections et d’en développer des formes graves. Les personnes ayant une dépendance sont plus à risque à chaque étape de la pandémie, en particulier celles qui ont des troubles liés à l’usage d’opioïdes. En ce qui concerne l’usage du tabac, les données sont complexes, et il a été suggéré que la nicotine (mais pas le tabac) pourrait avoir un effet protecteur. Récemment, certains auteurs ont postulé que le récepteur nicotinique de l’acétylcholine joue un rôle clé dans la pathophysiologie de l’infection à COVID-19 (Farsalinos et coll., 2020a) et pourrait représenter une cible pour la prévention et le contrôle de l’infection à COVID-19 (Changeux et coll., 2020).
Plusieurs limitations doivent être soulignées. Cet examen est basé sur peu de données préliminaires, car la crise covid-19 est toujours réelle. Le nombre de publications est déséquilibré, selon les pays, et certaines conclusions restent spéculatives.
Enfin, compte tenu de l’orientation réelle de cet examen et de la rapidité de la planification du COVID-19, nous avons adopté une approche pragmatique et n’avons pas fait d’examen systématique sur plusieurs plateformes. En conclusion, le manque de données cliniques limite la généralisation de nos résultats, et certaines perspectives demeurent spéculatives. Toutes les conclusions sont basées sur les données de la littérature actuelle et sont donc préliminaires. Cependant, nous offrons un cadre, après quelques semaines de pandémie et de quarantaine. Les stratégies actuelles devraient inclure une évaluation systématique de la comorbidité de la toxicomanie au cours de ce confinement presque mondial, afin de proposer des stratégies adéquates et personnalisées. Il s’agit d’avoir accès à des lignes directrices à l’égard des principaux dispensateurs de soins, des médecins et des gestionnaires de la santé publique. L’amélioration des services de télémédecine aura un impact positif important à long terme sur les soins aux patients, qui persistera même après cette pandémie.
Par le Dr Attahir SORTO, DFMSA de psychiatrie à Lyon
Relecture Pr Benjamin ROLLAND
Lien vers l’article original : https://www.sciencedirect.com/science/article/abs/pii/S0278584620303869