L’impact de la crise COVID sur le fonctionnement de l’addictologie : quelques réflexions

Alors que nous allons « fêter » notre premier mois de confinement, plusieurs secteurs du fonctionnement habituel de  l’addictologie sont particulièrement impactés.

Toutes les addictions

1er secteur impacté : l’addictologie de liaison. Que ce soit aux urgences générales, en milieu psychiatrique, en maison d’arrêt ou dans les services de médecine, l’addictologie de liaison, par nature mobile et dans l’échange, n’est pas vraiment « COVID-friendly » et a dû arrêter un peu partout les consultations en face-à-face, trop dangereuses. Certaines ELSA donnent des avis téléphoniques aux équipes. Certaines, dans des petits établissements notamment, ont mis en place un système de consultation par téléphone (les soignants des équipes donnent un téléphone au patient si celui-ci arrive à se déplacer).

Evidemment aux urgences, un tel dispositif n’est pas possible, et l’activité de liaison s’en ressent dans de nombreux endroits. En temps normal,  30 % des  admissions aux Urgences concerne une problématique alcool de manière directe ou indirecte, et le passage de la liaison aux urgences est un outil primordial pour le repérage et l’accompagnement des patients avec mésusage.
Nous sommes également moins sollicités en raison de la diminution de la fréquentation des urgences à l’échelle nationale, comme par exemple dans les Hauts-de-France, en Ardèche, ou bien encore à Montpellier. Les patients non-COVID ont tendance à déserter les urgences ; c’est une bonne nouvelle pour des services en risque de saturation, mais c’est possiblement aussi une perte de chance pour les patients pouvant bénéficier d’une prise en charge addictologique.

 

2e secteur impacté : les prisons.
En maison d’arrêt se pose la même problématique : peut-on maintenir les prises en charges malgré le risque de contagion dans un milieu qui a été qualifié de bombe à retardement pour le COVID? Comment légitimer le maintien de cette activité de soin, alors que les parloirs ont été stoppés, dans le but de sanctuariser les lieux d’incarcération ?

Pourtant l’arrêt de toute visite fragilise une population particulièrement concernée par la problématique addictologique et qui nécessite le maintien d’un lien social. Cet isolement forcé et prolongé majore l’anxiété et surtout met en difficulté l’approvisionnement des différentes substances et augmente la probabilité de sevrage brutal et involontaire. Dans ces conditions, et comme cela s’est produit dans les établissements italiens, le risque de tension et d’affrontement dans les prisons françaises est devenu majeur, avec des heurts comme ici à Maubeuge, ou bien encore à Draguignan dans le Var.

 

3e secteur impacté : les unités hospitalières.
La situation n’est pas meilleure dans les établissements de santé. Dans les Hauts-de-France par exemple, suite à la demande de l’ARS, l’ensemble des hospitalisations programmées ont été annulées sur le territoire. Or, le sevrage hospitalier est réservé à une population ciblée, particulièrement fragile, avec des risques d’accident de sevrage, des polyaddictions, des comorbidités psychiatriques, des troubles cognitifs, un isolement ou importante précarité sociale, population pour laquelle le sevrage ambulatoire est à haut risque d’échec voire dangereux pour certaines substances comme l’alcool.

Les hôpitaux de jour, les groupes, les activités thérapeutiques à temps partiel n’ont pu être maintenues en raison du risque de contamination chez une patientèle particulièrement à risque de développer une forme sévère de l’infection virale. Les répercussions sont importantes avec un renforcement de l’isolement, la difficulté de poursuivre le travail de récupération cognitive, de réduction des risques, de prévention de la rechute, d’affirmation de soi.

 

Ambulatoire : l’avènement des téléconsultations.
Les consultations présentielles sont plus difficilement assurées et moins fréquentées. Pour les traitements de substitution aux opiacés, depuis l’arrêté du 20 mars,  les ordonnances datant de moins 3 mois peuvent être renouvelées par les pharmaciens,  même si la durée de validité est expirée, et pour une période ne pouvant excéder 28 jours, jusqu’au 31 mai 2020. Par conséquent, les taux d’absence en consultations d’addictologie, relativement important en temps normal, battent aujourd’hui des records. Les consultations téléphoniques et téléconsultations avec webcam fleurissent au contraire, avec un constat souvent partagé que ce nouveau médium est bien accueilli et bien investi par les patients, qui répondent souvent présents et sont satisfaits de maintenir ainsi le lien. Cela fait réfléchir pour la suite.

Mais l’une des limites des téléconsultations concerne la prise en charge des nouveaux patients. Il est difficile d’entamer un suivi avec des outils numériques et en particulier d’obtenir une alliance thérapeutique, avec un patient que l’on ne connait pas, d’autant plus que la vidéoconsultation est parfois difficilement réalisable en raison de la précarité de certains patients ou de leurs difficultés cognitives.

Il est nécessaire de rappeler l’importance du lien social dans la prise en charge addictologique et dans le travail de prévention de la rechute. Dans ces conditions, et pendant cette période de confinement mondial, on peut redouter une majoration des conduites à risque chez soi, mais également un retentissement sur les stratégies de coping mises en place par les patients. Il est par ailleurs plus difficile de réinvestir les promenades et les loisirs, et les rituels de vie autres.

Cette crise sanitaire a l’avantage de mettre en lumière la nécessité de travailler en réseau, de développer, dans la mesure du possible, des nouvelles techniques de prise en charge (consultation téléphonique, vidéoconsultations) qui permettent d’assurer un suivi, même minimum. Il va toutefois être nécessaire d’apporter une attention accrue à ces patients lors de la levée du confinement. Si les consommations ont diminué (notamment en maison d’arrêt), ou même parfois interrompues, on peut imaginer un risque accru d’overdoses lors du retour à un approvisionnement normal.

 

Charles LESCUT

Benjamin ROLLAND