L'intensité du craving induit par la thérapie d'exposition en réalité virtuelle chez le fumeur prédit le risque de rechute

Tabac
Réalité virtuelle tabac

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Chez les fumeurs, le besoin impérieux (« craving ») augmente généralement en présence de stimuli liés au tabagisme, au cours des phases d’abstinence et est signalé comme le symptôme le plus pénible d’une tentative d’arrêt du tabac. Cependant, comme cela a été examiné pour plusieurs troubles liés à l’usage de substances et spécifiquement en ce qui concerne le tabagisme, les résultats sont incohérents quant à savoir si l’état de manque est capable de prédire la rechute (1).

Les premières études ayant recours à l’exposition à la réalité virtuelle dans le sevrage tabagique ont montré une diminution concomitante du besoin de fumer ainsi qu’une diminution des taux de tabagisme et du besoin de fumer chez les fumeurs recevant cette exposition et un traitement de substitution nicotinique par rapport au traitement de substitution nicotinique seul (2).

Depuis plusieurs années, le Dr Eric Malbos, psychiatre spécialisé dans la réalité virtuelle et son utilisation en psychothérapie, a développé de nombreux outils permettant de traiter les phobies, en particulier. En 2020, dans « Psychothérapie et réalité virtuelle » (éditions Odile Jacob), il avait consacré un chapitre à « l’utilisation de la réalité virtuelle en TCC pour les addictions au tabac », avec l’évaluation du niveau de craving et l’exposition en réalité virtuelle. Elle permet une exposition graduelle et progressive aux stimuli liés au tabac, aidant ainsi à désensibiliser les patients et à réduire leur anxiété.

Un protocole d’utilisation de la réalité virtuelle couplée aux TCC a été proposé en 2023, publié dans Psychol. Med.

Le traitement par exposition à la réalité virtuelle (TERV) permet d’évaluer et quantifier le craving et de mettre en place des stratégies pour faire face aux tentations et à la rechute.

Voici l’étude menée par Benedikt Schröder et collaborateurs, de l’université de Regensburg (Allemagne) et publiée le 30 mars 2024 dans Scientific Reports.

 

Objectifs de l’étude

Le but de la présente étude était d’identifier les différences possibles dans l’évolution du craving au cours du TERV chez les fumeurs devenus abstinents par rapport aux fumeurs qui ont rechuté afin d’obtenir des indications pour des améliorations futures du TERV et de clarifier la capacité prédictive du craving dans des contextes écologiquement validés. De plus, les auteurs avaient pour objectif d’évaluer les scénarios utilisés pour le TERV en termes d’induction, de présence et de tolérance des émotions.

Les auteurs ont émis l’hypothèse que les fumeurs qui rechutent dans les 6 mois après la fin du traitement éprouvent en principe un besoin de TERV plus fort que ceux qui restent abstinents. Ils ont également émis également l’hypothèse que l’état de manque pendant le TERV est prédictif d’une future rechute à moyen terme.

 

Méthodologie

Les participants étaient issus du bras « intervention » d’un essai randomisé contrôlé sur le sevrage tabagique (versus un bras « contrôle » basé sur la relaxation. Il s’agissait de fumeurs (10+ cigarettes/jour depuis au moins 2 ans), âgés de 18 à 70 ans.

102 participants fumeurs de tabac ont reçu le TERV, 43 femmes (42.2%) et 59 hommes (57.8%) âgés en moyenne de 45,7 ans (ET = 13,4 ans).

4 scénarios de réalité virtuelle étaient proposés : seul / lors d’une soirée / au café / situation stressante

3 émotions étaient proposées (inquiétude / stress / sociabilité) et devaient être notées sur une échelle de 0 à 100

Le désir de fumer une cigarette devait être évalué (sur une échelle de 0 à 100) avant, pendant le scénario (où une cigarette était proposée) et après.

Ces différents scénarios ont été proposés pendant 4 semaines après le sevrage tabagique.

L’abstinence tabagique a été validée à 6 mois à l’aide du CO-testeur (taux < 10 ppm).

 

Résultats

Avant la 1ère session de TERV, 81 participants étaient abstinents et 16 participants fumaient toujours.

Avant la 2ème session de TERV, 71 participants étaient abstinents et 5 participants fumaient toujours. Avant la 3ème session de TERV, 64 participants étaient abstinents et 8 participants fumaient toujours. Avant la 4ème session de TERV, 61 participants étaient abstinents et 9 participants fumaient toujours.

A 6 mois, il y avait 24 participants abstinents et 78 participants ayant rechuté.

 

Les auteurs ont montré que la valeur moyenne du craving était associée positivement avec la rechute : une valeur supérieure à 12,6 (sur 100) était prédictive d’une rechute.

Avec cette valeur de craving moyen > 12,6, le modèle a correctement classé 17 des 24 futurs abstinents (spécificité de 70,8 %) et 55 des 78 futurs fumeurs ayant rechuté (sensibilité de 70,5 %), ce qui donne au total 72 classifications correctes sur 102 (précision de 70,6 %).

 

Conclusions

Cette étude est la première à prendre en compte le niveau de craving pendant un TERV chez des fumeurs de tabac.

Les auteurs de cette étude ont montré que les fumeurs qui rechutent dans les 6 mois présentent des niveaux de craving plus élevés pendant le TERV que les fumeurs qui maintiennent l’abstinence et que le craving pendant le TERV prédit une rechute. De plus, ils ont constaté que les réponses de craving évoquées par le scénario de stress étaient discriminantes en ce qui concerne l’abstinence future, car les fumeurs récurrents réagissaient avec un besoin de fumer plus fort.

 

Références bibliographiques

1 Wray J M, Gass J C et Tiffany S T. A systematic review of the relationships between craving and smoking cessation. Nicotine Tob. Res. 15, 1167–1182.

2 Bordnick P S, Traylor A C, Carter B L et Graap K M. A feasibility study of virtual reality-based copings skills training for nicotine dependence. Res. Soc. Work Pract. 22, 293–300.

 

Dr Philippe Arvers (1,2,3)

1 – Observatoire Territorial des Conduites à Risques de l’Adolescent (MSH-UGA)

2 – 7ème Centre Médical des Armées (76ème Antenne médicale de Varces)

3 – Institut Rhône Alpes Auvergne de Tabacologie (Lyon)

 

En savoir plus sur www.nature.com.