Marketing et alcool, rôle et impacts sur la consommation

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Marketing alcool impact consommation

Le marketing déployé par les alcooliers joue un rôle majeur sur la consommation d’alcool, notamment auprès des cibles les plus vulnérables comme les jeunes. Bien loin d’être des philanthropes, les grands groupes d’alcooliers ont compris depuis longtemps combien la publicité est un fabuleux levier pour stimuler l’acte d’achat et donc la consommation de boissons alcoolisées.

“De nombreuses études réalisées cette dernière décennie, issues de recherches pluridisciplinaires et internationales soulignent la corrélation entre l’exposition au marketing alcoolier et la consommation d’alcool chez les jeunes”

Ces recherches concluent également que le fait d’être exposé à des publicités sur l’alcool et à variété de contenus issus des médias, influence sans aucun doute bon nombre de processus psychologiques et les actions de consommation qui en découlent.

Né dans les 1970/1980, le marketing s’est développé, peaufiné, sophistiqué au fil des ans, pour toucher désormais les cibles selon leurs usages, environnements, codes, attentes. La recette est toujours la même et fonctionne immanquablement !

Addict’AIDE vous propose un focus sur le marketing et l’alcool, sa stratégie, ses impacts ainsi que sur la sensibilisation nécessaire auprès des jeunes, afin de les aider à mieux décrypter ces mécaniques de manipulation au cœur des publicités. Des publicités bien loin de partager une information objective comme le requiert le cadre légal.

Marketing et alcool, comment fonctionne une publicité sur l’alcool ?

Revenons rapidement sur la fonction même du marketing utilisé par les industriels de l’alcool, et plus précisément sur le marketing publicitaire ! Son rôle est de charmer, provoquer l’envie, par la mise en valeur d’univers fictifs, très attractifs et positifs qui jouent sur des codes familiers pour les cibles visées. Ainsi, s’il est question de capter de nouveaux jeunes consommateurs d’alcool, les thématiques mobilisées par les alcooliers proposent par exemple des héros, des personnages de bandes dessinées, des atmosphères un peu planétaires, de science -fiction, faisant écho aux multiples univers des jeunes.

Objectifs ? Qu’ils se projettent, qu’ils rêvent et imaginent des scénarios dans lesquels les produits vont rendre leurs vies plus festives, agréables, joyeuses, exaltantes.

Inciter à l’achat et favoriser un accès simplifié aux produits, le marketing met tout en place afin que l’illusion de bien-être soit au cœur des ressentis, quitte à manipuler. Ainsi une publicité pour une marque d’alcool va présenter le produit sous un jour le plus favorable possible, avec une mise en lumière de contextes stimulants qui font rêver.

Selon Karine Gallopel-Morvan , professeure des universités à l’École des hautes études en santé publique de Rennes, spécialiste du marketing et du lobbying de l’industrie du tabac et de l’alcool, le marketing appliqué aux publicités sur l’alcool s’est sophistiqué au fil des années :

« Il y a 30/40 ans le marketing était très généraliste. Puis petit à petit, il s’est spécialisé, se concentrant sur certaines cibles. Les industriels de l’alcool déclinent maintenant systématiquement des codes spécifiques par cibles visées. Par exemple, pour les femmes les marques développent des univers codifiés mode, cosmétique, modulant même le goût du produit travaillé selon leurs préférences féminines. »

Que dit la loi ?

La loi Evin, concernant la publicité pour l’alcool pose un cadre pourtant moins libre que la publicité pour les autres produits. Légalement en effet, associer la publicité à des univers festifs ou de jeunesse n’est pas autorisé. De plus, aucune dimension incitative ne doit être présente. Si on prend la loi Evin dans son texte, normalement, seule l’information objective sur la marque d’alcool est autorisée. Mais dans les faits, ce cadre légal n’est pas respecté, avec une grande proportion de publicités pour des marques d ‘alcool qui continuent à user de stratégies incitatives prenant appui sur l’émotion… On est bien loin de l’information objective.

« Le contournement de la loi Evin se fait fréquemment de façon assez subtile de la part des grands groupes d’alcool. Si l’on ajoute à cela le peu de contrôles officiels opérés – aucun organisme au sein de l’État ne va poursuivre une marque d’alcool – la notion d’impunité est donc tangible. Résultat, ces marques font à peu près ce qu’elles veulent », précise Guylaine Benech , sociologue, consultante et formatrice en santé publique, spécialiste des questions de prévention de la consommation d’alcool des adolescents, autrice du livre « Sa première cuite. Manuel de prévention positive autour de l’alcool ».

Des associations lancent des actions en justice, comme c’est le cas d’Association Addictions France qui parvient à faire interdire des publicités… Mais pour multiplier ces actions, des moyens colossaux seraient nécessaires afin que des plaintes puissent être déposées quasi chaque jour. Ce qui est loin d’être le cas.

La prévention passe aussi par la sensibilisation des jeunes ! Apprendre à décrypter une publicité !

Apprendre à un jeune à décrypter une publicité n’est pas complexe et participe à une réelle prise de conscience. Ainsi selon Guylaine Benech, il est intéressant d’inviter un adolescent, cible récurrente des alcooliers, à comprendre la façon même dont est construite une publicité, pour mieux cerner les mécanismes de manipulation déployés.

Dans le cadre d’une publicité visuelle, le jeune en regardant dans les détails une affiche – choix des couleurs, des formes, des messages – peut partager ensuite les ressentis que cela provoque en lui. L’aider à se poser des questions l’accompagne vers un changement de regard : « Quel message la marque souhaite te communiquer via cette affiche ? », « Qu’est-ce que cela provoque en toi ? » …

Certaines marques d’alcool utilisent en effet des couleurs flamboyantes avec des ambiances qui propulsent dans univers rêvés. L’intention sous-jacente, affirmer aux jeunes que l’achat et la consommation des alcools en question vont les emmener au cœur de ces univers fabuleux qui font voyager et qui semblent si légers…

« Dans le métro parisien on observe des enfilades d’affiches géantes d’une grande beauté, très artistiques, de véritables œuvres d’art, mais le message derrière est bien : regarde, avec nous, tu t’évades ! D’autres publicités proposent des visuels qui reprennent les attentes et envies des jeunes : l’évasion, la fraîcheur… Ce sont des messages inconscients qui ne sont pas marqués en gros, c’est beaucoup plus subtil et incroyablement efficace »

Face à l’abondance de publicités pour l’alcool dans le métro francilien, notamment dans les stations proches d’établissements scolaires, 5 associations, France Assos Santé , La Ligue contre le cancer , Unaf – Union Nationale des Associations Familiales , la Fédération nationale des amis de la santé et l’association et la Fédération Entraid’Addict, ont d’ailleurs porté plainte contre la RATP pour « provocation directe à la consommation d’alcool à l’encontre des mineurs », un délit sanctionné par la loi.

Sensibiliser les adolescents et les jeunes participe à l’éducation à la citoyenneté. Au-delà de la question de l’alcool, cela permet de leur faire prendre conscience, que les publicités font appel à leurs émotions, afin que celles éprouvées soient plus fortes que la raison et poussent à la consommation d’alcool.

Ces marques créent des univers sensoriels, émotifs, pour une cible adolescente qu’elles savent encore immature émotionnellement (le cortex préfrontal n’est mature qu’à partir de 25 ans), qui n’est de fait pas encore équipée, comme c’est le cas pour un adulte, pour revenir à des réflexions et actions plus rationnelles.

La prévention un levier nécessaire, des actions officielles déployées

Les chiffres d’ESCAPAD 2022 de l’OFDT, mettent en relief la nécessité de mieux encadrer la prévention par une loi plus stricte. Rappelons en effet que selon cette enquête 80,6 % des jeunes de 17 ans ont déjà expérimenté l’alcool, 58,6 % en ont consommé dans le mois et 7,2 % ont une consommation régulière (10 fois dans le mois).

Légalement nous l’avons évoqué, une publicité sur l’alcool ne doit en aucune mesure inciter à la consommation, ce qui est loin d’être le cas. De plus les sanctions mises en œuvre face à ce non-respect sont inexistantes ou peu fréquentes. Seules l’optimisation de la prévention et des actions de sensibilisation plus fortes et récurrentes peuvent participer à modifier ces représentations, à changer les regards, les idées reçues, les comportements, et donc à réduire, in fine, la consommation d’alcool… En attendant que la loi renforce son cadre et déploie des mécaniques officielles générant des sanctions plus fréquentes.

Si la prévention et la sensibilisation restent donc cruciales, certaines actions sont à souligner, telles le grand programme, intitulé SAFER et déployé en 2018 par l’OMS (Organisation mondiale de la Santé, qui invite les États à adopter 5 initiatives (les plus rentables) pour lutter contre les dommages liés à l’alcool :

  1. Renforcer les restrictions sur la disponibilité de l’alcool, notamment l’interdiction de vente aux mineurs,
  2. Promouvoir et appliquer des mesures de lutte contre l’alcool au volant,
  3. Faciliter l’accès au dépistage, aux interventions brèves et au traitement,
  4. Appliquer des interdictions ou des restrictions complètes sur la publicité, le parrainage et la promotion de l’alcool,
  5. Augmenter les prix de l’alcool par le biais de taxes d’accise et de politiques de prix.

Vous souhaitez plus de précisions sur le lobby et les actions de marketing des alcooliers ? Rendez-vous sur : https://www.addictaide.fr/alcool/dossier-environnement-alcool/

Murielle Gutierrez (Amande épicée)