Meilleure satisfaction pour les formes dépôt de buprénorphine que pour les formes sublinguales

Un essai contrôlé randomisé australien publié dans le JAMA Network.

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La dépendance aux opioïdes est un trouble chronique à l’impact majeur sur la santé individuelle et publique. Les recommandations thérapeutiques combinent un soutien psychosocial et comportemental avec un traitement agoniste opioïde (TAO). Les bénéfices de ce dernier sont connus, entre autres sur la mortalité et l’usage illicite d’opioïdes.

Parmi les TAO, la buprénorphine, dans sa forme usuelle sublinguale, permet un traitement ambulatoire non supervisé, mais expose à des risques d’usage non médical. Ces risques ont entraîné la conception de formes injectables en dépôt sous-cutané, à formulation hebdomadaire ou mensuelle. Ces formes seraient supérieures au placebo et aux non-inférieures voire supérieures à la forme sublinguale en termes d’usage illicite d’opioïdes. Elles engendreraient également de hauts niveaux de satisfaction des patients dans plusieurs études de suivi ouvertes.

Ce type de critères subjectifs, basés sur les retours des patients, fait l’objet d’un intérêt grandissant comme alternative aux marqueurs traditionnels dans l’évaluation et l’approbation de nouveaux médicaments, mais appartient aux critères de jugement secondaires (CJS) dans la plupart des études de comparaison des TAO. Les essais habituels ont aussi tendance à uniformiser l’expérience des patients, requérant souvent des passages réguliers en services de soins pour maintenir l’aveugle.

Ces réflexions ont donné naissance à l’étude DEBUT, pour Depot Evaluation-Buprenorphine Utilization Trial, conduit par Lintzeris et al. entre octobre 2018 et septembre 2019 via 6 centres de traitement ambulatoire australiens. Cet essai contrôlé randomisé ouvert visait à comparer la buprénorphine sublinguale aux formes en dépôt sous-cutané hebdomadaires et mensuelles sur la base de critères centrés sur les retours des patients.

Les participants étaient des adultes traités par buprénorphine en voie sublinguale pour une dépendance aux opioïdes, en excluant les porteurs d’affections sévères ou non stabilisées, ainsi que les femmes enceintes, en cours d’allaitement, ou projetant une grossesse.

La répartition se faisait en 1 pour 1 entre la poursuite de la buprénorphine sublinguale et le switch vers la forme en dépôt sous-cutané, avec initialement 60 patients par groupe, dont 70 hommes, pour un âge moyen à 44.4 ans, une durée moyenne de dépendance de 13 ans. Les administrations de buprénorphine sous-cutanée se faisaient aux centres de traitement, avec un accord entre patient et praticien sur les doses, fréquence, site d’injection. Les patients sous forme sublinguale choisissaient aussi librement leur fréquence de délivrance. La dose pouvait être ajustée à tout moment.

Chaque sujet devait se soumettre à 7 visites en centre d’essai. Ces visites avaient lieu à l’inclusion puis toutes les 4 semaines, et permettaient la mesure des critères de jugement, l’évaluation de la tolérance, le dosage des toxiques urinaires.

Le critère de jugement principal était le score de satisfaction globale au Treatment Satisfaction Questionnaire for Medication (TSQM-GS) à la 24e semaine, coté de 0 à 100. Ce questionnaire contient 14 items dans 4 domaines (efficacité, effets secondaires, commodité, satisfaction globale). Les critères secondaires comprenaient notamment les domaines du TSQM, l’impression de contrainte liée au traitement (Treatment Burden Questionnaire, TBQ), la qualité de vie, le rétablissement du trouble addictif, la santé physique et mentale, la tolérance en termes de sevrage et de craving, l’usage illicite d’opioïdes. Les différents critères faisaient l’objet d’une comparaison par un modèle mixte pour mesures Répétées, les sujets étant inclus dans l’analyse s’ils avaient reçu au moins une dose et été à au moins une visite de suivi.

Les résultats montrent principalement une satisfaction plus élevée chez les participants recevant de la buprénorphine sous-cutanée, avec 8.2 points de différence au TSQM-GS à la 24e semaine (82.5 vs 74.3 en moyenne). Une analyse de variance retrouve cette différence significative entre les scores moyens sur l’ensemble de l’essai.

Sur les critères secondaires, la buprénorphine sous-cutanée serait perçue comme plus pratique et plus efficace (TSQM), moins contraignante (TBQ). Les sujets de ce groupe déclareraient de meilleures qualité de vie et santé physique. Les groupes ne se distingueraient ni sur leur usage illicite d’opioïdes, ni sur leur tolérance, bien contrôlée.

Quant aux effets indésirables, ils sont plus fréquents sous buprénorphine sous-cutanée, avec 3 fois plus de patients concernés (65 % vs 20.3 %) par près de 6 fois plus de réactions au médicament (117 vs 21), sur de fréquentes réactions d’intensité légère au site d’injection. Cela n’aurait entraîné ni différence de perception des effets secondaires au TSQM, ni arrêt du traitement ou de l’essai.

L’étude présenterait des limites notables. Les auteurs mentionnent une puissance insuffisante pour conclure sur les critères secondaires et un caractère global du critère principal limitant l’observation de bénéfices plus spécifiques de l’un ou l’autre traitement, comme l’effet sur le craving. Ils voient également des obstacles à la généralisabilité de leurs résultats : ceux-ci pourraient ne pas être reproduits dans des pays aux modes de dispensation et de remboursement différents de l’Australie ou chez des patients naïfs de TAO, tous les sujets de l’essai étant déjà traités par buprénorphine sublinguale à l’inclusion.

Les auteurs pensent cependant que, dans un premier temps, la plupart des utilisateurs de buprénorphine sous-cutanée y arriveront par switch depuis un traitement sublingual préalable (situation imaginable en France après approbation du remboursement de formes sous-cutanées cette année). En ajoutant cela au design en ouvert favorisant des conditions écologiques et aux exclusions limitées (11 sur 131 patients éligibles), ils revendiquent une bonne généralisabilité. Une autre force de l’étude serait l’utilisation dans un essai contrôlé randomisé d’une majorité de critères de jugement basés sur les retours des patients, ce qui constitue une approche assez novatrice dans la littérature addictologique.

En somme, cet essai supporte l’usage de la buprénorphine en dépôt sous-cutané sur la base d’éléments subjectifs rapportés par les patients, au premier rang desquels la satisfaction exprimée. Plus globalement, il met en valeur le recueil de ces aspects comme alternative ou complément des critères habituels dans le champ de la prise en charge des troubles addictifs, domaine où leur évaluation paraît primordiale pour consolider l’adhésion à des traitements de long cours.

Par Amery Robillard, interne en psychiatrie à Lyon
Relecture : Benjamin Rolland
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