Parution d’un important livre scientifique sur le jeu de hasard et d’argent, ses risques addictifs, et les politiques de santé publique

Jeux d’argent et de hasard

Pour tous les professionnels qui s’intéressent aux addictions comportementales, un important livre vient de paraitre sur le jeu de hasard et d’argent (JHA) : Setting limits : Gambling, Science & Public Policy (Oxford Press). Ce livre permet à tous ceux qui le souhaitent opérer une mise à jour approfondie de leurs connaissances sur les enjeux liés au JHA, à sa pratique, et à ses conséquences en matière d’addiction, ainsi qu’aux aspects de santé publique qui en découlent.

Quelle situation du marché du jeu en 2019 ?

En 2019, les revenus totaux générés par les JHA ont dépassé 400 milliards d’euros. Ce chiffre a doublé depuis le début du XXIe siècle. Les zones les plus prolifiques dans le business du JHA sont, par ordre d’importance, l’Asie, l’Amérique du Nord, suivis de l’Europe. Mais les pays où les mises par habitants sont les plus importantes sont l’Australie et la Nouvelle-Zélande. Même si l’explosion du marché du JHA a commencé avant l’extension d’Internet, la Toile offre désormais un univers infini pour les paris et les jeux de hasard. Face à cela, les Etats ont globalement laissé faire, et se sont contentés de taxer les gains. L’industrie du JHA se concentre autour d’un petit nombre d’opérateurs, dont la plupart opèrent à peu près dans tous les pays.

Quelles sont les conséquences négatives du JHA ?

Le trouble de jeu de hasard et d’argent (TJHA) est défini et reconnu comme une addiction comportementale dans le DSM-5, mais aussi depuis 2019 dans la classification de l’OMS, la Classification Internationale des Maladies – 11e édition (CIM-11). Les conséquences chez les patients sont d’ordre financières bien sûr, mais aussi familiales, professionnelles, et judiciaires. Les problèmes judiciaires relèvent des dettes, mais aussi des actes illégaux que les patients peuvent commettre pour rembourser leurs dettes. L’ensemble des études rapportent une forte association avec les autres troubles addictifs et psychiatriques, en particulier les troubles anxieux, dépressifs.  Le risque suicidaire est également élevé et fortement associé à l’ensemble des conséquences négatives du TJHA. Parallèlement à ces données, il est estimé que les conséquences négatives impactent aussi l’entourage (un joueur problématique affecterait au moins 6 personnes par son comportement). Il est ainsi rapporté dans la population des partenaires des joueurs problématiques une plus grande prévalence des troubles de l’usage de substances, de jeu problématique et de tentative de suicide.

Dans les pays à hauts revenus, plus de la moitié de la population adulte rapporte une activité de JHA dans l’année écoulée, tandis que 1% à 4% de la population présente des problèmes liés à cette activité. Les situations les plus sévères, c.à.d. celles correspondant aux critères de TJHA, concernent 0,1% à 0,8% de la population. On considère que les usagers sévères dépensent environ 30 à 35% de leurs revenus en mises perdus, et ce de manière régulière, et au-delà le TJHA est associé à une majoration des inégalités.

 Quels types d’interventions ? Pour quels objectifs de santé publique ?

Le nombre de joueurs à problème varie considérablement en fonction du volume du jeu de hasard et parallèlement, les joueurs à risque faible à modéré, du fait de la part importante qu’ils représentent, produisent une part importante des dommages. En conséquence, la réduction ou au moins le contrôle du volume total de JHA parait être un enjeu évident de santé publique. Par ailleurs, les risques sont variables en fonction du type de JHA. La limitation de l’accessibilité aux jeux à haut-risque parait être une mesure plus ciblée et plus pertinente. Des études anciennes menées sur les casinos ont montré que les populations vivant à proximité sont plus à risque de s’endetter et de se suicider. La restriction de l’accès est plus compliquée lorsque le JHA est présent sur tout le territoire (jeux à gratter par exemple) ou plus encore sur le Net. L’augmentation du prix de jeu est parfois décrite comme une action possible de prévention mais contestée. La Française des Jeux justifie ainsi ses importants coûts de participation comme une mesure de « réduction des risques ». Le résultat des études sur ce type de mesures ne sont pas concluantes. En pratique, mesurer les effets du prix des paris à une large échelle est difficile, car beaucoup de facteurs interfèrent.

Une autre mesure fréquente pour limiter la consommation chez les joueurs à risque est la diffusion de messages de prévention. Malheureusement, chez les joueurs à risque, aucune efficacité de ce genre de messages n’a jamais été montrée, et ces mesures sont probablement plus symboliques qu’autre chose. La limitation de l’âge d’accès est une autre mesure fréquente. Elle semble efficace lorsqu’elle est correctement appliquée, ce qui n’est pas toujours évident, par exemple sur Internet. Elle évite ou réduit le développement de conduites à risque chez les adolescents, qui peuvent être des populations très vulnérables. Enfin, des mesures d’exclusion temporaire des joueurs à problèmes peuvent être mises en place. En France, il s’agit d’une exclusion volontaire. Ces mesures devraient être mises en place précocement, pour avoir un effet préventif sur des joueurs à risque, et pas seulement chez des sujets avec TJHA déjà présent.

L’action sur l’environnement de jeu peut avoir un impact sur l’activité de jeu. Il est connu par exemple que les casinos sont des endroits sans fenêtre et sans repères temporelles, afin de favoriser l’immersion du joueur dans son jeu. La présence de faux boutons de contrôle sur les machines-à-sous donne l’impression que le joueur peut influencer le résultat du jeu. Les études menées sur le JHA suggèrent que la limitation de l’accès par le joueur à son argent, la présence d’indicateurs temporels comme des horloges, ou la lumière du jour, sont des facteurs limitant la pratique de jeu. De la même façon, l’interdiction ou la limitation des usages de substances, en particulier du tabac et de l’alcool, réduisent très significativement la pratique de jeu. Comme précisé plus haut, si des mesures environnementales permettent de limiter la consommation de jeu globale, il n’est pas démontré que cet effet soit plus marqué chez les joueurs à risque ou ceux avec TJHA. D’un point de vue addictologique, il n’est donc pas certain que ce type de mesures atteignent la cible principale. La situation est différente ici de la réduction de consommation d’alcool en population générale par exemple, car on sait que, même en dehors des personnes avec alcoolodépendance, réduire globalement la consommation d’alcool en population générale est bénéfique à la santé publique. Cela est contestable pour la pratique de JHA.

En termes de repérage et prévention, de plus en plus de casinos mettent en place une formation de leur personnel pour repérer les joueurs à risque et les orienter précocement vers des soins spécialisés. Il n’en est pas de même sur Internet pour le moment, même si des procédures de repérage automatique peuvent être envisagées dans les prochaines années. La recherche sur les effets des interventions addictologiques dans le TJHA sont en retard par rapport à celles menées sur l’alcool ou les autres substances à risque addictif. Les auteurs estiment que les interventions ciblant la famille et l’entourage du patient ont une importance encore plus marquée dans le TJHA, par comparaison avec ce qui est recommandé dans les troubles d’usage de substances.

En conclusion, le livre souligne que les immenses revenus générés par les taxes portant sur le JHA sont encore très insuffisamment réinvestis dans la recherche et la mise en place de mesures de prévention et d’intervention efficaces. Deux points importants doivent être retenus : 1) les joueurs à problèmes constituent une faible part des joueurs, mais représentent une part importante des mises (c’est un peu la même chose avec l’alcool d’ailleurs : les buveurs à problèmes représentent une faible part des consommateurs d’alcool, mais une forte proportion des dépenses d’alcool) ; et 2) le TJHA est très souvent associé à des problèmes psychiatriques et physiques, à d’autres addictions, et à un environnement de mauvaise qualité. Le lien de causalité entre le TJHA et ces problèmes est complexe, et probablement bidirectionnel. Les auteurs encouragent à l’information la plus importante possible du grand public sur ces risques et leurs enjeux de société, afin notamment de faire pression sur les décideurs politiques pour réinvestir davantage d’argent issus des taxes sur les mesures de recherche et de santé publique nécessaires à la protection des populations vulnérables.

Par Benjamin Rolland, Julie Giustiniani et Aurélia Gay

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