Les filières des boissons alcoolisées viennent de remettre leur plan de prévention à l’Elysée. Elles y disposent d’un relais important en la personne d’Audrey Bourolleau (ex : directrice générale du lobby «Vin & Société »).
On aurait pu espérer qu’une prise de conscience des dommages liés à l’alcool les aurait amenées à proposer des mesures efficaces; mais comme on va le voir, le résultat laisse à désirer.
Le lobby semble mettre de l’eau dans son vin
Certes, le logo destiné aux femmes enceintes devrait augmenter de 3mm.
Certes, le « wine bag » permettra de rapporter la bouteille de vin du restaurant à la maison (ils auraient pu aussi encourager la consommation au verre).
Certes, il est proposé de « former » les distributeurs à l’interdiction de vente aux mineurs mais cette mesure, qui aurait déjà dû être prise, évite de soutenir une contraventionnalisation de ce qui est un délit.
Certes, les filières de boissons alcoolisées veulent lutter contre le binge drinking (dont ils sont les principales responsables avec leur marketing habilement ciblé) mais est-ce vraiment suffisant ?
La feuille de vigne masque les réels objectifs des filières de l’alcool
Leur deuxième grand axe est de favoriser la consommation responsable.
Pour cela elles proposent de promouvoir des comportements responsables chez les consommateurs. On ne peut qu’être d’accord avec cette proposition.
Mais il ne faut pas être dupe : parler de la consommation responsable revient à se défausser sur le « consommateur responsable » de leur part de responsabilité.
Consommation : qui est vraiment responsable ?
Dans toute addiction, il existe une interaction entre un consommateur plus ou moins vulnérable et un environnement plus ou moins incitatif. Et dans le cas présent l’environnement est terriblement incitatif : les alcooliers utilisent toutes les stratégies et les canaux possibles de communication pour inciter à consommer. https://www.addictaide.fr/alcool-quelles-sont-les-techniques-marketing-des-alcooliers-et-comment-lutter-contre/
Toutes les entreprises de la filière devraient assumer leur responsabilité sociale et donc être en partie responsables des dommages.
Une contribution financière famélique comparée aux plantureuses dépenses de publicité
Les filières proposent de mettre chaque année 1.2 million d’euros pour la prévention alors qu’elles en dépensent 600 millions pour la publicité et le marketing (Cour des comptes 2016) ce qui donne un rapport de 500 à 1 entre l’induction et la réduction des dommages.
Des bénéfices essentiellement bâtis sur les consommations excessives et la dépendance
Rappelons que si les 2/3 des Français ont des consommations à faibles risques, ils ne consomment que 10% de l’alcool vendu. Nous sommes donc sceptiques quant aux mesures proposées par les alcooliers pour diminuer des consommations excessives lorsque celles-ci représentent entre 75 et 90% de leurs ventes (dont 50% sont vendues au 8% de personnes dépendantes).Et c’est donc pour cela que les alcooliers ne reprennent pas les mesures efficaces.
Des consommations essentiellement fondées sur des alcools bas de gamme
Il ne faut pas non plus être dupe du discours visant à protéger les grands vins, les grandes appellations, les grands terroirs et l’âme de la France : le top 10 des vins vendus en grande surface est constitué de vins dont le prix de la bouteille se situe aux alentours de 2€ (et de 2€ le litre dans les cubitainers). Ces ventes de vins à bas coûts représentent, là encore, les trois quarts des ventes en grande surface.
Dans le top 15 des marques les plus vendues, on retrouve des vins rosés dont la vente a explosé grâce à la stratégie des vins aromatisés, ciblant les jeunes femmes.
Le Président de la République a donc le choix entre le « plan de prévention de la filière » ou un vrai « plan national de mobilisation contre les addictions »
On comprend donc bien pourquoi les industriels de l’alcool cherchent farouchement à éviter les mesures universellement reconnues comme efficaces : un prix minimal par unité d’alcool et une réglementation stricte de la publicité.
On comprend également pourquoi l’OMS, dans son Cadre des politiques alcools en Europe précise que les « politiques de santé publique concernant l’alcool doivent être élaborées par des représentants de la santé publique sans ingérence d’intérêts commerciaux ».
On comprend désormais pourquoi le plan gouvernemental de mobilisation contre les addictions est régulièrement repoussé depuis le mois de mars. Il fallait attendre les propositions de la filière.
C’est manifestement au niveau de l’Elysée que se feront les arbitrages entre les mesures de la filière ,dont on peut prédire l’inefficacité, ou un volet alcool cohérent dans le Plan National Addiction, comprenant des mesures qui ont prouvé leur efficacité et que demande la grande majorité des Français.
Les enquêtes récentes mettent en évidence, sans doute possible, que les Français sont demandeurs de mesures préventives (voir l’étude de la ligue contre le cancer) et tout particulièrement pour les jeunes (voir notre étude en collaboration avec Fondapol et la Fondation Gabriel Péri).
Oserons-nous rappeler que lorsqu’il le veut, l’Etat peut prendre des mesures courageuses comme celles mises en place pour lutter contre le tabagisme (augmentation du prix du paquet, remboursement des soins, création d’un fond de prévention de 100 millions d’euros, paquet neutre…) qui sont en train de faire la preuve de leur efficacité.
Pour plus d’information, vous pouvez consulter la synthèse du quotidien du médecin sur le sujet qui confronte le point de vue des alcooliers avec ceux des acteurs de la santé.