De nombreuses études mettent en évidence l’importance des variations du craving (défini comme une expérience intrusive d’envie de faire usage) dans le déclenchement des épisodes d’usage et de rechute de l’addiction, soulignant son intérêt comme cible thérapeutique des prises en charge. Cependant, d’autres facteurs ont été suggérés comme participant à la rechute et pourraient aussi contribuer à ce processus, et il est parfois difficile pour les patients de se souvenir avec précision l’enchainement temporel des émotions ou des évènements les ayant conduits à rechuter.
Cette étude conduite par l’équipe Addiction du laboratoire SANPSY de l’Université de Bordeaux, et récemment parue dans le journal Addiction, a examiné cette question parmi des données issues de précédentes études EMA (Ecological Momentatry Assessment). En effet, cette méthode EMA permet de capturer en vie quotidienne les phénomènes fluctuants expérientiels, grâce à des questionnaires répétés remplis directement sur une application smartphone, et permet ainsi d’examiner la directionnalité des associations, c’est à dire comment les évènements s’enchainent de façon prospective, permettant ainsi d’estimer des possibles liens de causalité.
L’utilisation de méthodes d’analyses dérivées de la théorie des réseaux de symptômes, généralement utilisées pour explorer les interactions entre un ensemble de critères d’un diagnostic (Gauld et al., 2023), a été appliquée ici à l’exploration des interactions temporelles, à l’échelle de quelques heures, entre les différents facteurs pouvant contribuer à la rechute. Contrairement aux méthodes d’analyses classiques, ces analyses en réseaux dynamiques ont permis de prendre en compte les influences conjointes et prospectives de plusieurs variables (usage de la substance principale d’addiction, intensité du craving, exposition à des stimuli conditionnés, prise d’un traitement pharmacologique, sentiment d’efficacité personnelle, humeur), et ainsi d’explorer quelles cascades d’activations pouvaient conduire à l’usage.
Parmi 211 patients débutant une prise en charge ambulatoire pour une addiction (toutes substances confondues), et ayant complété 4 questionnaires par jour pendant 14 jours, le modèle d’analyse en réseaux dynamiques a tout d’abord démontré que, parmi les 6 facteurs inclus dans le modèle, l’usage était la variable la plus prédite par rapport aux autres variables (avec le plus grand « inStrenght »). Cela suggère que la variable « usage » serait donc bien le dernier maillon de la chaine. Les résultats ont également mis en évidence une association unidirectionnelle entre l’intensité du craving à un moment donné (T0) et l’usage de la substance principale d’addiction lors de l’évaluation suivante (T1, r = 0,1), après avoir contrôlé l’effet de toutes les autres variables. En parallèle, un meilleur sentiment d’efficacité personnelle à T0 était également associé à moins d’usage à T1 (r = -0,07), et présentait une association bi-directionnelle importante avec le craving (r = -0,1). La prise d’un traitement pharmacologique était également associée à moins d’usage (r = -0,03) et moins de craving (r = -0,03) lors de l’évaluation suivante. En revanche, ni les humeurs ni l’exposition à des stimuli conditionnés n’étaient associés à plus d’usage.
En conclusion, cette étude illustre la manière dont l’analyse en réseaux dynamiques peut être appliquée aux données issues de l’EMA, pour permettre d’explorer la cascade d’activation conduisant à l’usage de substance dans l’addiction. Les résultats soulignent que le craving et un moins bon sentiment d’efficacité personnelle sont deux facteurs-clés et indépendants qui contribuent à l’usage, qui seraient donc à cibler conjointement pour prévenir plus efficacement les rechutes.
Lien vers l’article : http://doi.org/10.1111/add.16658.