Elle fascine autant qu’elle effraie, est indéfendable car étroitement reliée à la mort. Pourtant, depuis les années 70 jusqu’à nos jours, elle a été un fléau inarrêtable qui a rongé toutes les époques, tous les milieux sociaux et tous les âges. Comment l’héroïne a-t-elle séduit toutes les générations malgré son caractère destructeur ? Comment a-t-elle infiltré toutes les strates de la société ?
C’est la question à laquelle plusieurs anthropologues, sociologues et démographes spécialistes des toxicomanies se sont attelés, parmi lesquels Anne Coppel, aussi fondatrice de l’Association française de réduction des risques ou Michel Kokoreff, auteur et chercheur au CRESPPA (Centre de recherches sociologiques et politiques de Paris). Différents regards et spécialités mêlés dans un recueil baptisé La catastrophe invisible et publié ce mois-ci (Editions Amsterdam). Cette enquête au long cours s’attache à saisir comment les drogués ont changé la société, mais aussi ce que la société a eu comme impact sur leurs vies. Pour la réaliser, l’équipe a choisi de s’éloigner des représentants de la justice et de la santé dont les témoignages et la vision sont souvent biaisés. La catastrophe invisible s’est adressée en premier lieu aux principaux concernés : consommateurs, revendeurs et trafiquants.
Jimi Hendrix, Sid Vicious, Janis Joplin, la fête, les voyages, la liberté… Depuis le début de sa commercialisation, l’héroïne a charrié son lot de figures mythiques. Sa consommation, selon les décennies, a renvoyé à des personnages cultes, des mouvements de pensée, des modes de vies. Au gré d’une chronologie minutieuse, les auteurs racontent comment, dans les années 60 et 70 elle s’inscrit dans une démarche révolutionnaire. Sa consommation est poussée par une mouvance contre culturelle, alimentée par la musique principalement, une volonté de changer la marche du monde et les yeux avec lesquels on le regarde.