DROGUES / Pourquoi les Français se dopent pour supporter leur boulot ?

Chercheurs, psychologues et professeurs nous ont éclairé sur l’évolution de la consommation de drogues liée à un contexte professionnel.

Autres drogues

VICE : Qu’est-ce que vous a donné envie de faire cet ouvrage ?
Dominique Lhuilier :
 Dans le monde du travail, quand on parle de consommation de substances psychoactives, on parle toujours d’addiction – donc de la pathologie, avec la figure dominante de l’alcoolique. On s’est dit que ce n’était plus la réalité, que les consommations n’étaient pas seulement liées à des problématiques personnelles. Il faut remettre ça dans le contexte professionnel. On ne consomme plus de la même manière, plus les mêmes produits, et cela est clairement à mettre en perspective avec les évolutions du travail. Simple exemple : la pression à fumer. Au travail, fumer est l’assurance de bénéficier d’une pause dans un emploi du temps qui ne bénéficie d’aucune respiration. On va fumer pour respirer, en un sens.

Renaud Crespin : On se demandait comment documenter des usages, sans pour autant dire qu’il y a un énorme problème et qu’il faut réprimer davantage. Une des forces de l’ouvrage est de « suspendre » l’idée selon laquelle les usages de produits psychoactifs sont forcément nuisibles pour le travail, afin d’interroger comment ces produits très divers peuvent être perçus et utilisés comme des ressources dans le travail. Ça n’a pas été simple de proposer ce déplacement, alors que c’est ce qu’on a pu voir dans la diversité des gens qu’on a rencontré. Ceux qui ont un problème avec la drogue sont une partie infime des situations qu’on a pu observer.

Gladys Lutz : Nous avons voulu prendre le temps d’étudier toutes les drogues, licites ou illicites, et leurs effets – à la fois remèdes et poisons. Nous avons fait face à des résistances en décidant de poser la question de la drogue comme ressource, et d’inclure les médicaments psychotropes dans notre recherche. C’est pourtant bien ce qu’ils sont. Historiquement, la plupart de ces produits synthétiques sont issus de l’isolement des principes actifs du pavot, de la coca ou du cannabis, les panacées des sociétés humaines ancestrales. Nous avons décidé de sortir des typologies réglementaires, des compromis sociaux qui organisent les choses, et d’essayer de voir ce qui se passe, quel que soit le produit.

Quelles sont les fonctions de la drogue au travail, selon vos observations ?
Renaud Crespin : 
On a choisi le terme « se doper ». D’où vient ce mot ? Selon l’origine néerlandaise qui a circulé aux États-Unis, cela implique d’ajouter quelque chose à un produit alimentaire pour lui donner un peu plus de consistance. Se doper, c’était souvent rajouter du sucre dans la soupe pour aller au travail, donc c’est bien ce sujet-là : en rajouter pour pouvoir travailler.

Gilles Amado : Le dopage sportif, le plus médiatisé, doit être considéré comme emblématique du monde du travail. Pour le sportif de haut niveau, c’est la performance qui compte et le dopage auquel il se soumet (ou auquel il est soumis) implique généralement tout un système. On retrouve trois grandes fonctions de ces produits dopants : l’aide à la performance, la détente et l’intégration sociale – fonctions qui sont aussi celles que remplissent ces produits au sein des entreprises.

Dominique Lhuilier : Il y a aussi une fonction anesthésiante. On consomme des médicaments parce qu’on sait qu’on va travailler ou pour calmer la douleur, tout comme l’alcool calme la peur, surtout dans les professions dites à risque. Aujourd’hui, il y a moins de consommations collectives d’alcool au travail, puisqu’il y a des risques de sanctions, mais il y a des consommations plus solitaires, hors du travail.

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